Burning Heads

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Après un trajet plus que périlleux jusqu’à Genève, nous accédons enfin à la salle où doivent jouer ce soir les légendaires Adolescents. Cependant, ce n’est pas avec les Américains que nous nous entretiendrons avant ce concert, mais avec nos Burning Heads nationaux qui ont l’honneur de faire la première partie. Direction les loges pour discuter de musique, de politique et de label avec Thomas (batterie), rejoint plus tard par Pierre (chant).

Punkfiction : Bon, pour commencer, je pense que vous êtes heureux de jouer en première partie de The Adolescents ?

Thomas (batterie) : Ouais carrément, on pensait qu’on ne les verrait jamais… A l’époque, quand on était super jeune, au tout début de Burning Heads, je crois qu’ils ne sont pas venus en France. Après ils ont splitté, mais on a continué à écouter leurs albums. Donc c’est une super surprise ! On avait un peu peur qu’ils soient un peu vieux et que ça ne ressemble plus au groupe qu’on avait aimé quand on était jeune… Mais aux vues des balances, ça à l’air cool, carrément cool !

Tant mieux pour ce soir. Sinon on sait que vous reprenez « No Way » (titre phare tu répertoire de The Adolescents) à chaque concert, donc je suppose que The Adolescents ont été une grosse influence pour vous ?

T : Oui c’est sûr. The Adolescents, D.I., Circle Jerks, tous le punk de la côte ouest, avant même que Bad Religion ou Nofx définissent le style, on a tous aimé ces groupes. Pour nous, The Adolescents était presque le groupe un peu parfait, avec des mélodies imparables, des tubes…

Et alors ce soir, vous allez déroger à vos habitudes et ne pas reprendre cette chanson ?

T : On ne sait pas encore. On leur a demandé mais ils n’ont pas l’air trop motivés pour qu’on la reprenne… Mais on verra (rire).

On voit de plus en plus de groupes des années 80 se reformer, que penses-tu de ces reformations, comme celle de Gorilla Biscuits qui a joué ici à l’Usine en octobre, ou celle des Bad Brains qui est plus controversée ?

T : Je n’ai pu ni allé voir les Gorilla Biscuits ni les Bad Brains, alors que j’aurais aimé aller voir les deux. Grâce à internet, j’ai regardé un peu les concerts. Du coup, je ne regrette pas d’avoir loupé les Bad Brains, par contre, je regrette beaucoup de ne pas avoir vu Gorilla Biscuits. Je les avais déjà vus en 1989 à Paris, juste après la sortie de Start Today, et c’était super bien. Donc j’aurais bien aimé les revoir sur cette tournée…

Et donc, d’un point de vue plus général, que penses-tu de ces reformations ?

T : Parfois ils feraient mieux de s’abstenir. Mais quand tu sens que c’est sincère, que les gars ont gardé la pêche, c’est vraiment royal… Je pense que Gorilla Biscuits est dans ce cas là. Tous les gens qui les ont vus m’ont dit que c’était frais, sincère et super efficace, donc c’est cool.

Et pour The Adolescents ?

T : J’espère qu’ils sont dans le même cas que Gorilla. En tout cas, de ce qu’on a vu aux balances, ça à l’air d’être le cas.

On va revenir sur votre actualité et Opposite 2, qui est sorti il y a quelques mois. On sait qu’Opposite 1 avait été un peu controversé, certains ont dit que ce n’était plus du Burning… Quel a été pour l’instant la réaction du public quant à cet Opposite 2 ?

T : Les gens avaient un peu peur avant la sortie d’Opposite 1. Les irréductibles, qui n’aimaient pas du tout le premier, sont restés sur leur position. Par contre, d’autres se sont finalement aperçus que ce n’était pas du reggae comme on veut bien l’entendre. Donc finalement le #2 était attendu par ceux qui avaient aimé le #1. Du coup il n’y avait plus de craintes pour Opposite 2. Ceux qui n’aimaient pas le premier se sont dits : « ça sera du même acabit donc on sait à quoi s’attendre ». Les autres se sont demandés : « on a aimé le #1, est-ce que le #2 va nous décevoir, est-ce qu’il va allé un petit peu plus loin… ». Je pense que nous n’avons pas trop déçu les gens et que nous sommes allés un peu plus loin.

Ah non, pas déçu du tout même, et je trouve aussi que vous êtes allés un peu plus loin. Vous mélangez davantage punk rock, reggae et dub sur Opposite 2, alors que l’autre était plus axé reggae, avec moins de mélanges…

T : Ça restait du reggae joué par des punk rockers. Mais c’est vrai que dans le nouveau on a mis plus d’ingrédients, plus de guitares…

Justement, quelles étaient vos influences lors de l’écriture de cet album ? Et pourquoi n’avoir pas sorti un album à nouveau entièrement reggae-dub joué par des punk rockeurs ?

T : Car depuis on a écouté plein de choses diverses et variées. On a écouté Guns Of Brixton, de la jungle, de la drum-n-bass, du breakcore, du dub-step… On a réécouté les Ruts et on s’est d’ailleurs aperçu qu’ils avaient des morceaux reggae, où on sentait l’influence punk derrière, et qu’ils avaient des morceaux rock traités comme si c’était du reggae. Donc on s’est dit ; si ces mecs là ont encore brouillé les pistes, essayons, nous aussi les Burning, de brouiller un peu plus les pistes. Mais à aucun moment on ne s’est dit que ça sonnerait comme un Opposite 1 mais avec plus d’interventions punk. On a juste laissé parler notre inspiration et c’est sorti comme ça…

Vous avez peut-être découvert de nouveaux groupes que vous n’écoutiez pas avant ?

T : Ouais. Quelques trucs de Mogwai m’ont agréablement surpris, je n’aime pas tout, mais certains trucs sont sympas. Dans le dub-step il y a aussi des trucs magnifiques, dans Guns Of Brixton il y a des trucs magnifiques. Ce sont des groupes qui nous ont influencés pour ce Opposite 2, c’est sûr.

Mais vous écoutez encore du punk rock quand même ?

T : Oui, oui, énormément. Mais pour pouvoir continuer à aimer le punk rock il faut qu’on écoute d’autres choses. Sinon je pense, qu’au bout d’un moment, on serait écœuré. J’adore les pizzas mais si j’en mangeais tous les jours, ça me saoulerait. C’est pour cela qu’on a envie d’écouter plein de choses. Après, tout ce qu’on écoute ne se retrouve pas forcément dans notre musique.

Du coup, pour le prochain album, ça serait plutôt un album reggae-dub, punk rock, un mixe encore plus poussé des deux ?

T : Je ne sais pas trop. Souvent, c’est après avoir jeté les ingrédients dans la marmite qu’on se rend compte du goût que ça va avoir. Avant on ne sait absolument pas. Chacun vient avec son petit truc, et, même si celui qui l’apporte à une idée de ce que ça pourrait donner, les interactions des autres vont brouiller les pistes.

Pierre (chanteur, qui nous a rejoints depuis quelques instants) : En fait, si la petite brique amenée est assez solide, on la garde.

T : Mais le mur ne ressemblera jamais à la petite brique. Il y aura d’autres briques de différentes couleurs, de différentes tailles… Quand j’apporte quelque chose qui me semble clair, ça ne l’est pas forcément pour les autres, qui apportent des choses à l’édifice, et au final ça ne ressemble pas du tout à ce que je pensais… et c’est vachement bien. C’est toujours une surprise, et encore plus pour Opposite 2. En fait on rentre dans le local, on met des trucs en place et après on se dit : "tiens, ça à ce goût là, ou cette couleur là ?".

P : Et selon l’humeur, cela peut changer beaucoup. Si on est énervé, on va pondre le petit brûlot de musique urgente durant une minute ou une minute trente. C’est super efficace et c’est bon pour la santé.

Bon, pour l’instant c’est plus reggae-dub avec Opposite 2, donc plus calme, mais avec des textes toujours engagés. Ça ça ne change pas chez les Burning ?

T : Mais comme pourraient l’être les textes d’un super reggae man black jamaïcain. Dans Opposite 2 on parle un peu des opprimés, un peu des problèmes de la vie moderne. Mais finalement, le punk se rapproche un peu du reggae. Dans le premier numéro d’un fanzine parisien, Cheribibi, il y avait un dossier sur les liens entre punk et reggae. Et on trouve effectivement que ça se rapproche dans la volonté et dans le message.

Et avez-vous la même approche qu’il y a bientôt 20 ans pour écrire ces textes ?

T : Oui, en gros c’est pareil. On ne se force jamais vraiment. Si quelqu’un a une idée plutôt cool, qu’il a l’envie et un crayon, il va noter quelques trucs. Et des fois chacun arrive dans le local avec trois ou quatre bribes de chansons… Des fois on arrive avec un texte entier, mais c’est rare. Souvent chacun apporte un petit truc en plus.

De voir que des textes que vous avez écrits il y a 20 ans sont encore d’actualité, ça ne vous fout pas les boules ? Ce n’est pas dur de trouver la motivation, de continuer le combat au bout de 20 ans ?

T : Je ne sais pas si c’est dur d’avoir la motivation. Je pense que la motivation ce n’est pas quelque chose qui se crée. Si tu n’es plus motivé, faut se reprendre en main. Mais nous avons toujours envie de faire des trucs. On ne travaille pas beaucoup, on est un peu sur le bord de la route et on regarde ce grand mouvement général, qui nous mène nulle part, peut-être que cela nous donne envie d’être plus critique. Si on était la tête dans le guidon en allant à l’usine tous les jours, peut-être qu’on aurait moins cette facilité, on tomberait peut-être encore plus dans les pièges de la société. Là, on fait du punk rock, on sait qu’on ne doit pas attendre énormément pour notre confort, donc on vit avec nos petits moyens. Ça nous permet de ne pas travailler et d’essayer d’être un peu plus conscient.

P : Et finalement ça n’a pas changé beaucoup. Le temps est passé, on a pu observer des modes, différents styles qui ont été mis en avant par les média et autres. Mais nous, ça n’a jamais vraiment été notre tour et c’est ce qui nous a peut-être sauvés. De regarder cette vague surfée par d’autre et de finalement jamais la prendre, parce qu’elle était trop dangereuse. C’est marrant avec le temps tu t’aperçois qu’un truc ringard devient à la mode des années après et que quelque chose qui était à la mode devient ringard, et que toi tu deviens le ringard aussi…

Tu avais dit, il y a un an et demi, que tu étais content de revoir des jeunes descendre dans la rue, tu disais que ça éviterait peut-être une nouvelle connerie aux élections… Malheureusement tout le monde est descendu dans la rue, et finalement il n’y a pas eu d’échos. Tu ne trouves pas ça un peu décourageant ? (c’est au tour de Thomas de s’éclipser, s’en allant avec les gars de Hateful Monday qui ouvrent le bal ce soir…)

P : Quand je suis chez moi, qu’il n’y a pas de concerts et que je reste un peu trop longtemps sans rien faire, je pense que c’est mort, qu’il ne se passe rien. Mais parce que je suis musicien, je monte dans le camion, je vois plein de trucs qui se passent dans différentes villes et du coup je rencontre des gens et je pense plus que rien ne se passe. Je pense qu’on se dit que rien de bouge si on ne fait rien. Ça commence par toi, plus ça va et plus j’en suis conscient. Ça commence par soi, sans attendre forcément quelque chose en retour. Mais pour revenir à ta question, on a cru un moment avec Thomas qu’il n’y avait plus de rébellion, de revendications… Mais finalement non, nous on a écrit des morceaux en disant, « c’est foutu », « où sont les jeunes ? », « où est le bordel ambiant ? » et on s’est pris les manifs six mois après dans la gueule. Ok c’est pas mort. Ça renaît toujours au moment où tu ne t’y attends pas.

Et peut-être que plus la situation empire, et plus cette rébellion va revenir énergiquement, avec plus de puissance ?

P : J’en suis à me dire que c’est un peu une cause perdue. En fait, je résume en disant qu’on joue du punk rock, on monte dans un camion et on se fait plaisir. On fait des concerts, on rencontre des potes, on passe du bon temps. On construit un truc depuis des années, un truc sans danger pour la santé. Finalement c’est assez fédérateur à son niveau. Je pense qu’il ne faut pas chercher plus loin que ça. Si chacun faisait déjà quelque chose dans son coin, en étant content et en arrivant à partager des choses, tout le monde serait déjà un peu plus heureux. En fait, je suis heureux avec ce que j’ai, ça peu être considéré comme ringard, mais je souhaite à tous le monde de trouver le bonheur comme on l’a trouvé avec les Burning. Mais on devient tous super ringard, et ce qui était ringard il y a vingt ans ne l’est plus… Tu as les années 80 qui sont revenues en force depuis deux trois ans, et toute la merde qui va avec : les bagarres aux concerts, les embrouilles dans la rue, les manifs qui se finissent par des coups de matraques et qui sont noyées dans l’œuf, une espèce d’information qui retourne la situation et qui raconte n’importe quoi, et un scoop pour étouffer tout ça… Plus ça va, et vouloir faire la révolution de façon traditionnelle, c’est à dire avec un côté fédérateur, descendre dans la rue, avec le support des médias, ce n’est plus possible. Par contre cette révolution sous-jacente, souterraine et plus petite, elle, elle est de plus en plus nombreuse…

Peut-être qu’apporter des textes engagés via une musique plus accessible, comme sur Opposite 1 et 2, peut faire passer les idées plus facilement, et donc changer un peu plus les choses, de renforcer cette révolution sous-jacente ?

P : Ouais, c’est sûr. Ces albums nous permettent de jouer dans d’autres conditions, devant un public qu’on ne voit jamais d’habitude. On a fait un festival à Lyon, avec du dub, de l’expérimental, de l’electro, pendant une semaine. Là dedans, si tu fais un set reggae-dub et qu’à la fin tu joues une reprise de Adolescents à fond la caisse, ce n’est pas pareil que si tu arrives dans un festival de hardcore. Mais ça fait du bien de casser ces clivages et d’aller toucher d’autres gens. Mais le propos est le même. La forme change mais le fond reste le même.

Pour revenir aux Burning Heads et à vos projets, ça fait un petit moment qu’on entend parlé d’un dvd. C’est toujours en prévision ?

P : (rire) Mouais… Moi j’ai fais mon taf, j’ai mixé les vingt-trois morceaux du concert et ils sont biens, je suis content (rire). Un pote a fini le montage des six cassettes du concert. Mais après il y a la rétrospective du groupe depuis les débuts. Et ça, tu ne finis jamais… On a donné, je sais plus… cent soixante cassettes à un mec pour qu’il fasse le montage, pour qu’il pioche dedans.

Tant mieux, ça sera un gros dvd, bien rempli ?

P : Tu parles, ça sera chiant à mourir, trois heures de film de concert. « Oh, t’as vu là il n’avait pas la même coupe de cheveux ». Donc je pense que le jour où le groupe sera mort, on arrivera à sortir un truc comme ça.

Dans longtemps alors ?

P : Dans peu de temps… Normalement (rire). Soyez patients.

Je préfère que vous continuiez, quitte à ne pas avoir de dvd tout de suite… Sinon, à propos du label Opposite Record, avec deux ans de recul maintenant, tu peux peut-être mieux te rendre compte de ce qui est difficile ou non. Si c’est possible de gérer un label en 100% do it yourself…

P : Il ne faut pas trop en vouloir. C’est un bien grand mot un label. Pour nous, Opposite est un support pour vendre des disques, une sorte de structure légale. Si ça peut servir à d’autres groupes, tant mieux. Après, il ne faut pas qu’on endorme des groupes sur le label parce qu’on n’a pas le temps de s’en occuper.

D’ailleurs il est indiqué sur le site du label que, pour l’instant, vous ne souhaitiez pas signer d’autres groupes. Est-ce que cela a changé, des groupes vous ont-ils contactés, as-tu repéré certains groupes ? (Thomas est alors revenu s’asseoir auprès de nous).

P : On a vendu plein de skeuds avec Opposite donc on a plein d’idée (rire). On va déjà essayer de sortir des 45 tours, des splits, avec deux morceaux par face. Et même peut-être des maxis si on a encore un peu plus de fond. Des trucs limités, tirés à 300 exemplaires…

Avec les groupes du label ?

P : Oui. On commencerait avec Ravi et Gravity Slaves. Ensuite peut-être les Burning, mais je sais pas avec qui…

Vous venez de sortir Opposite 2, vous avez pas mal de dates de prévues, des projets avec le label… Vous n’avez quand même pas d’autres projets avec Burning Heads, si ?

P : On a un projet de compilation aussi. Mais, en fait, on n’a jamais rien calculé de ce qu’on allait faire ou pas. On se met tous les vendredis ou samedis dans le local, et on fait des morceaux…

Mais vous n’arrêtez jamais ??

P : Bah, je crois que le plus dur est d’y mettre un frein. C’est de refuser, de dire non.

Ok. Le mot de la fin est pour vous…

T : On est super content d’être ici, que les gens en Suisse aient pensé à nous pour faire la première partie de The Adolescents. A chaque fois qu’on vient jouer à Genève, à l’Usine, c’est génial. On a même plein d’amis depuis 92 maintenant. Donc, encore une fois, on est très content. En 2008, j’espère qu’on va pouvoir faire de très beaux concerts, qu’on va pouvoir sortir un peu des frontières. Merci à vous d’être venu, merci pour l’interview.

Merci à vous. Bon concert.

Fab
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