[Bienvenue sur Punkfiction | Interview : Russ Rankin / Tony Sly]

Interview avec Russ Rankin / Tony Sly

Date de publication : 10 avril 2009

Difficile de résister à la tentation de réunir deux poids lourds de la scène punk-rock quand ils sont de passage à Paris. On prend un peu de liberté en sortant du cadre promo habituel pour une série de questions sur le punk-rock, la crise économique, le véganisme... tout cela en tête-à-tête avec Russ Rankin (Good Riddance, Only Crime) et Tony Sly (No use For A Name).


Salut les gars, merci de répondre à nos questions. Comment se passe la tournée ?

  • Tony : Ça se passe vraiment bien. On a eu un jour "off" hier, ça faisait du bien de couper après 16 ou 17 concerts d’affilée. Il reste quelques dates à faire mais pour le moment, tous les concerts ont été géniaux.

Comment est venue l’idée de faire une tournée ensemble ? Je suppose que ça ne vous est pas arrivé depuis un bon moment...

  • Russ : Tony et moi ? Oh ouais, ça faisait un bon moment. Je savais qu’il cherchait un groupe pour faire leur première partie en Europe et ça nous branchait. J’ai contacté Tony pour savoir s’il cherchait toujours quelqu’un. On en a parlé ensemble, accordé nos emplois du temps et le tour était joué. On est sur le cul, ça se passe super bien.

Cette tournée a commencée le 20 janvier 2009, date de l’Inauguration Day, la journée où Bararck Obama est officiellement devenu le 44ème président des Etats-Unis. Comment voyez-vous cette élection, le fait d’avoir un président noir à la tête du pays ?

  • Tony : Elir un président afro-américain est un effort considérable pour les Etats-Unis si on regarde l’histoire du pays. Il y a toujours beaucoup de racisme aux States. On ne connait pas grand chose sur Obama, on ne sait pas encore ce qu’il va faire mais son élection marque un grand pas en avant.
  • Russ : Il était temps que quelqu’un issu d’une minorité ou une femme arrive à la tête du pays, qu’on en finisse avec les riches hommes blancs qui gouvernent depuis des années. C’est bien d’avoir enfin un président qui représente notre société telle qu’elle est.
    Je suis fan de Barack Obama, même si je n’ai pas voté pour lui (ndt : contrairement à ce que relaient les media il n’y a pas que deux candidats lors d’une élection présidentielle américaine), je suis content qu’il ait gagné. Je pense qu’il a suffisamment d’humilité pour affronter les situations auxquelles il devra faire face. Il a des solutions concrètes pour sortir les Etats-Unis de la récession et des autres problèmes qu’on rencontre actuellement. Mais la plupart des gens sont déjà soulagés que George W. Bush ait disparu du paysage.
  • Tony : Je pense qu’il nous a donné quelques pistes qui permettront de nous sortir du trou, même si cela prendra du temps. Et je pense qu’il sera vraiment bon pour les relations internationales, parce que Bush a considérablement dégradé les relations qu’on entretenait avec certains pays.
  • Russ : Comme vient de le dire Tony, sous George Bush, les Etats-Unis ont perdu beaucoup d’amis. Avec Barack Obama, on va enfin pouvoir redevenir des "global citizen", des membres actifs de la communauté internationale en apportant des solutions au lieu de faire chier le monde comme on l’a fait pendant ces dernières années.

Comme on vient de l’évoquer, est-ce que la crise économique et la récession représentent un danger pour les groupes, avec un effondrement plus rapide des ventes de disques...

  • Tony : C’est clair que ça va être encore plus dur de vendre des disques. Pour moi et le reste du groupe, on a toujours envie d’avancer. Si on venait jouer ici à Paris et qu’il n’y avait personne pour venir nous voir et qu’on ne vendait plus un seul disque, en gros que les gens ne nous soutenaient plus, ça serait différent mais ce n’est pas le cas.
    Les gens ont toujours nos albums, la seule différence c’est qu’ils les ont eu gratuitement. C’est bizarre pour moi car je continue d’aller chez le disquaire pour acheter des disques et pouvoir l’ouvrir, le toucher...
  • Russ : Je pense que l’industrie du disque que l’on a connue va connaître de gros changements. Je ne dis pas que le téléchargement est bien ou mal. Mais le fait est que les gens n’achètent plus nos disques comme avant, que certains ne peuvent plus aller à un concert car ils se disent "si j’y vais, est-ce que j’aurais suffisamment d’argent pour pouvoir manger cette semaine" ou "je n’ai plus les moyens parce que je ne fais plus assez d’heures ou qu’on m’a viré". La crise économique va forcer les gens à faire des choix et rogner sur leurs loisirs : acheter des livres, aller au ciné ou au resto, aller voir un groupe en concert...
  • Tony : Ou peut-être qu’au contraire, les gens vont écouter plus de musique, aller voir plus de concerts pour conforter leurs choix de vie et leurs opinions...

On va revenir à la musique. Au milieu des années 80, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du punk-rock ? Un disque ? Un groupe ? Un concert ?

  • Russ : Une chanson ? Ça serait "Chemical Warfare" des Dead Kennedys, que j’ai entendue pour la première fois sur une cassette que m’avait donnée un pote de lycée. C’est ça qui m’a fait plonger dans le punk-rock, ma vie n’a plus eu le même sens après (ndt : Tony se marre à côté). Et c’est "Back To The Known" de Bad Religion qui m’a donné envie de faire partie d’un groupe.
  • Tony : Moi j’ai acheté quatre disques : "Back To The Known" de Bad Religion, "The Crew" de 7 Seconds, "Living In Darkness" d’Agent Orange et... Je ne me souviens plus du dernier, sans doute un Dead Kennedys. Et quelques mois plus tard, je suis allé à un concert des DK à San José et je me suis dit "je veux faire ça".
    Mais c’est 7 Seconds que j’ai vu plus tard qui m’a fait définitivement plonger. Je me suis dit que cette musique n’était pas dure à jouer alors que j’apprenais la guitare en essayant de jouer des chansons de U2 et d’autres trucs dans le même style (rires). Alors que pour le punk-rock, c’était vachement plus facile. Pas besoin d’être un super musicien, il suffisait d’envoyer quelques accords.

Et vingt-cinq ans plus tard, les rôles sont inversés, c’est vous qui donnez envie de jouer du punk-rock... C’est gratifiant ou quelque peu effrayant de devenir une référence ?

  • Tony : C’est souvent flatteur. Mais ça dépend des groupes, des fois je me dis "on vous a vraiment influencés ?" Comme avec Yellowcard, ils m’ont tout le temps dit qu’on était une de leur référence, mais franchement, je vois pas où... (rires) Tu as quelques surprises mais généralement, ça fait plaisir. Et de la même manière, j’espère que les gars de Bad Religion sont contents quand je vais les voir en leur disant combien ils sont géniaux.

Et toi Russ, comment le ressens-tu ?

  • Russ : Un peu comme Tony, ça fait toujours plaisir quand un jeune groupe vient te dire "tu as eu une grande influence sur nous". Mais ça me touche encore plus quand on me parle d’un texte que j’ai écrit. L’autre jour à la fin d’une interview, une fille m’a dit qu’elle et quelques-uns de ses amis étaient devenus vegans après avoir lu les paroles de "Waste" (ndr : chanson de Good Riddance, véritable hymne pour les droits des animaux et le véganisme). Je n’avais jamais été confronté à ça, au fait qu’une chanson que j’ai écrite puisse avoir un tel impact, un impact positif dans ce cas-là, sur la vie de quelqu’un.
    En quelque sorte, je boucle la boucle. Une grande partie de ce que je suis aujourd’hui, par mes opinions et mon regard sur le monde, je le dois à des groupes que j’ai écoutés et dont j’ai lu les paroles. C’est le punk-rock qui m’a éveillé à la politique . Et là je peux à mon tour éveiller quelques consciences, aider à devenir politiquement ou socialement actif, c’est cool.
    Si des groupes comme les nôtres peuvent influencer, motiver ou éveiller les gens et qu’ils gardent ça à l’esprit une fois sortis de la salle de concert, tant mieux.

Le véganisme est un sujet qui te tient vraiment à coeur...

  • Russ : Ouais, je suis vegan depuis de nombreuses années, ça représente une grande part dans ma vie. Encore une fois, c’est un mode de vie que je n’aurais probablement pas connu si je ne m’étais pas intéressé à cette musique, à cette scène punk-rock et à certains de ces groupes. Il y a un message derrière le punk-rock et le hardcore qui dépasse le simple côté "entertainment" de la musique.

Et toi Tony, c’est un sujet qui te touche ou pas. ?

  • Tony : Non, je ne suis pas vegan...
  • Russ : Pourtant, j’essaye de le convaincre quand on tourne ensemble... (rires)
  • Tony : Ben faut croire que ça marche pas (rires). J’ai été végétarien pendant quelques années dans les 90’s mais j’ai vite arrêté.

Tony, juste avant de partir en tournée, tu as mis quelques démos solos en écoute sur ta page myspace (ndr : http://www.myspace.com/tonyslymusic). Est-ce ces démos sont proches du résultat final ?

  • Tony : En fait, je les ai mises parce que je fais quelques concerts solos en mars aux States et je voulais savoir ce que les gens en pensaient. C’est très proche du résultat final, quelques-unes sont presque finies. En tout cas, c’est le genre de production que je veux, sans rajouter des violons ou des trucs du genre et aller trop loin dans les arrangements. Il y aura peut-être quelques trucs en plus, un enregistrement de meilleure qualité mais en gros, on y est.

Juste toi et ta guitare quoi...

  • Tony : Ouais, c’est vraiment ce que j’aimerais faire. J’adore cette idée, un mec seul avec sa guitare dans une pièce.

Et toi Russ, tu n’as jamais eu envie de sortir quelque chose en solo, dans l’esprit de la super reprise de Johnny Cash que tu as faite l’an dernier sur le tribute album "All Abroad" ?

  • Russ : Merci pour le compliment ! Si, je suis actuellement en train de travailler sur quelques chansons en solo, parce qu’elles ne colleraient pas avec Only Crime. Mais j’irais un peu plus loin que le simple truc chant et guitare, tout simplement parce que je ne joue pas assez bien de la guitare acoustique.
    L’un des mes chanteurs préférés, l’un de ceux qui figurent dans mon top 3 est Richard Butler, qui jouait dans Psychedelic Furs (ndr : groupe anglais des 80’s). Il a sorti un album solo dernièrement qui est vraiment cool, avec des ambiances, des beats électroniques... que j’adore.
    Mon projet serait donc de faire quelque chose entre ça et ce que Billy Bragg a sorti, avec de la guitare électrique et des arrangements. Mais je suis au tout début du projet, j’ai écrit trois chansons et il n’y a qu’une seule personne qui les a entendues.

Même s’il n’est pas présent sur cette tournée, qu’est ce qui est le plus dur : jouer avec Bill Stevenson ou enregistrer avec lui ?

  • Russ : Enregistrer avec lui, c’est clair.
  • Tony : J’ai moins d’expérience que Russ avec Bill car on n’a enregistré qu’un seul album (ndr : le dernier, "The Feel Good Record Of The Year") au Blasting Room et je n’ai jamais joué avec lui, mais c’est super facile de travailler en studio avec lui car il sait tirer le meilleur de toi. Enregistrer les parties de chant a toujours été frustrant pour moi et avec lui ce n’était pas le cas. Quand je n’arrivais pas à poser mon chant correctement, il me disait "on arrête là pour aujourd’hui, mets-toi à la guitare pour le reste de la journée". Alors qu’avec Ryan Greene, c’était toujours long et douloureux pour le chant.
  • Russ : Avec mon groupe précédent (ndr : Good Riddance, pour ceux qui ne suivent pas), quand on est parti pour la première fois au Blasting Room (ndr : pour "Operation Phoenix" en 1999) pour travailler avec Bill mais aussi Stephan Egerton (ndr : qui a joué avec Stevenson dans les Descendents et ALL) et Jason Livermore ; on avait toujours procédé de la même manière en studio. On faisait toutes les prises de batterie, puis la basse, puis les guitares et enfin le chant. Alors qu’au Blasting Room, c’est différent. Dès que la batterie est terminée sur un morceau, tout le monde peut travailler dessus. Chacun travaille tous les jours, personne ne reste assis pendant des jours en attendant son tour. Ce qui fait que tout le monde s’implique dans le projet.
  • Tony : C’est vraiment un super système. Ce qui fait qu’au final, le disque sonne comme si tu avais passé deux mois en studio alors que tu n’y a passé qu’un mois.
  • Russ : Je pense aussi que Bill, par son histoire, par les groupes dans lesquels il a joué, la musique dans laquelle il baigne depuis des années, son expérience en studio en tant que musicien puis en tant que producteur, sait exactement ce que tu veux. Certains producteurs que l’on a connus étaient des super techniciens mais ils n’avaient aucune idée du son qu’on voulait avoir. Ils imposaient leur manière de faire au lieu de nous faire des propositions. Un peu comme s’ils essayaient de faire rentrer de force un rond dans un trou carré.
    Alors qu’avec Bill, c’est plus facile. Il me dit de m’inspirer de tel chanteur que je connais pour améliorer mon chant. C’est facile car on est sur la même longueur d’ondes, il sait exactement où tu veux aller.

Vous êtes sur Fat Wreck Chords depuis des années. Fat Mike a pendant de nombreuses années incarné son label, mais depuis quelques temps on a l’impression qu’il s’implique de moins en moins...

  • Tony : C’est vrai qu’à nos débuts il était très impliqué dans la production des disques des groupes. Pour nos deux voir trois derniers albums, je ne suis pas sûr qu’il ait écouté mes démos avant qu’on parte en studio... Mais ça reste un bon gars.

On va finir en reprenant une vieille tradition de PunkFiction, à savoir finir l’interview par quelques questions à la con. Vous considérez vos tatouages comme un bon souvenir ou est-ce que vous les regrettez ?

  • Russ : J’en ai plusieurs avec des noms de groupes ou des paroles, c’est plutôt positif. Par contre, je m’étais fait tatouer deux prénoms de deux filles, et vu que je ne suis plus avec elles, c’est pas top.
  • Tony : (ndt : se foutant de la gueule de Russ) Moi j’en ai cinq, dont un avec logo de No Use et un autre avec celui de Black Flag, groupe qui m’inspire toujours et qui représente pour moi toute la puissance du punk-rock. Les trois autres sont pour ma femme et mes deux filles.

Ce soir a lieu le Superbowl (ndr : la finale du championnat de foot américain). Qui va gagner, les Arizona Cardinals ou les Pittsburgh Steelers ?

  • Tony : Je pense que ce sont les Steelers qui vont gagner (ndt : a posteriori, bien vu ! ). Mais vu que dans la tournée, je suis entouré par des fans des Cardinals, je devrais parier sur eux.
  • Russ : Je ne m’intéresse pas au foot US, parle-moi plutôt de hockey sur glace...

Dernière question pour toi, Russ. Content de ne pas avoir entendu le mot "Good Riddance" dans cette interview ?

  • Russ : Ouais. C’était difficile à faire ?

Pas tant que ça (rires). Merci et bon concert les gars.

Merci à Wiebke @ Fat Wreck Chords qui a rendu cette interview possible



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