Justin(e)

Justin(e) >> Treillières Über Alles

Contexte :

Justin(e) va rentrer au CM2. Elle a bientôt 10 ans, et un peu avant de siffler toutes ses jolies bougies colorées, elle décide de rendre son troisième exposé. Un travail qui va la consacrer comme la meilleure élève de l’école primaire du punk rock français.

Chronique :

Son premier album lui avait déjà valu une nomination dans la catégorie « meilleur espoir féminin » du conseil de classe, tandis que le second, Accident N°7, lui avait permis de sauter une classe et de recevoir les félicitations du jury. Surdouée, la petite n’en était pas moins perturbée par son foyer éclaté. La famille s’est recomposée avec l’arrivée de Fikce à la batterie, et la petite a repris confiance en elle, peut-être même un peu trop, décidant de suivre des cours à domicile pour l’enregistrement du split avec Diego Pallavas en 2010. Résultat, un devoir plus que correct, mais bien en-dessous du sublime caressé par l’opus précédent.

« On ne change pas une équipe qui gagne ». Mais on peut changer de schéma de jeu. Perturbé par quelques inconvénients géographiques (une moitié vit à Paris, l’autre à Treillières), le groupe a dû s’imposer de nouvelles règles. On compose les week-ends, et les textes d’Alar ne seront découverts par le reste du groupe que peu de temps avant de rentrer en studio. Un endroit où le quatuor retrouve Neb Xort, déjà responsable d’Accident N°7. Un choix plus évident que l’évidence même.
Treillères Über Alles reprend donc ce jeu à une touche de balle, déboulant avec le titre éponyme et le premier riff de basse qui poutre d’une longue série. Si dans le propos l’album va vite devenir plus sombre et torturé que ce à quoi le groupe nous avait habitués, on retrouve toujours ces délires très private joke, à l’instar des derniers vers du morceau, qui donnent l’adresse du bassiste-manager-businessman du groupe. Dans le même registre, on notera notamment « BB77 », morceau au refrain super-accrocheur et consacré à la récente paternité du chanteur. « On est désolés, mais tu vas grandir dans le 77 / La ville la plus près c’est Provins... ». C’est quand même autre chose que Pascal Obispo et son « Millésime ». Même si comparer son gosse à une bouteille de vin, c’est punk et bien vu : c’est bon au début, ça fait vite mal à la tête, et c’est mal vu d’en avoir plein sa cave.

Pour le reste, le propos se fait très conflictuel, ou même très rentre-dedans sur « La Chute » : « Prélève à la source / Nationalise les banques / Vote obligatoire / Mort aux cumulards ». La lutte des classes est encore au centre des débats, même si le « fils du pauvre » omniprésent sur Accident N°7 ne fait pas d’apparition dans cette nouvelle saison, contrairement à la « putain infirmière » qui revient onduler de la blouse sur « Tosquelles 1912-1994 ». Toujours très recherchés, les textes ont été agrémentés d’un petit lexique dans le livret, comme le fait Anti-Flag, mais en plus philosophique que politique. Les références sont donc multiples, avec par exemple le titre « Nous Qui Désirons Sans Fin » tiré d’un texte du même nom de Raoul Vaneigem. Une vraie petite chasse au trésor à effectuer.

Et si les mots sont riches, leurs placements sont pour beaucoup dans leur valeur. Toujours sur la brèche, le flow accompagne magnifiquement les envolées rythmiques du groupe, se permettant un titre aux allures de Noir Désir sous stéroïdes avec l’intro folk sur « Les Mômes Tristes ». Depuis toujours comparés aux autres nantais de Zabriskie Point, les Justin(e) tiennent largement la comparaison avec leurs aînés sur l’excellente « La Chanson Du Lait ». La guitare s’échappe, le chant décolle, le refrain poutre et les chœurs s’enclenchent comme à chaque fois.
La galette abrite ainsi un bon paquet de tubes potentiels, et vient affirmer la maîtrise collective du groupe, qu’il s’agisse du refrain impeccable de « Nous Qui Désirons Sans Fin », du groove implacable de « Rome » ou de l’amertume délectable de « Une Ode A La Mort ». La ballade funèbre, écrite par le batteur Fikce, est agrémentée d’un accordéon du plus bel effet. Les arrangements sont totalement au service du texte, et le morceau devient dès la première écoute une nouvelle pierre angulaire dans la discographie du groupe. Un peu comme « Affreux, Sales et Méchants » sur Accident N°7. Car dans l’équilibre et la structure, ce troisième disque est très proche du second.

Justin(e) a donc trouvé la formule qui lui va le mieux, et son application commence par l’artwork. La pochette tellement moche qu’elle en devient géniale, c’est un peu le même principe que les films de Michael Youn. Celle du CD est particulièrement dégueulasse, en mode album Panini des années 80, tandis que celle du LP, avec le groupe en mode photo d’avant-match, est bien plus stylée. Un LP qui permet d’ailleurs de remarquer que l’amour du groupe pour NOFX ne se limite pas aux lignes de basse, quelques versions alternatives aux chansons s’étant glissées sur les pistes, comme le fait la bande du Gros Michel pour chaque album. On remarquera notamment la version acoustique de « Les Mômes Tristes » et la chanson bonus « Que Les Surfers Nazis Meurent », adaptation en français de leurs copains de Santa Cruz.

Mais ce qui fait surtout la réussite de Justin(e), c’est cette facilité à pondre des titres fédérateurs et qui portent leur patte. On se prend dans la face le refrain de la monstrueuse « Kronstadt », en espérant que les paroles ne soient pas annonciatrices de la fin du disque (« Le Spectacle est terminé ! »). Heureusement il n’en est rien, car la suite du programme regorge d’autres grands moments, comme la renversante « Tosquelles 1912-1994 », menée tambour battant entre la Catalogne et la Lozère et dégainant une ligne de chant venue de nulle part. Ou comment mettre l’auditeur sur le cul en moins de deux minutes. On croit à de nombreuses reprises être en train d’assister à l’apogée du disque, avant d’arriver sur le final dantesque de « A.A. » pour vraiment se la prendre dans la face. Et si elle arrive à ce moment-là, une fois les 15 titres ingérés, c’est précisément parce que Treillères Über Alles est un ensemble cohérent qui parvient à regrouper les différentes facettes de la personnalité de Justin(e). Elle n’est pas encore en CM2, mais c’est déjà la terreur de la cour de récré. « Un preuve de plus que Treillières est au-dessus de vous, est au-dessus de nous, est au-dessus de tout ».

Connexion
Inscription
Informations de connexion
  •  

Copyright © 2003 - 2012, punkfiction.servhome.org. Tous droits réservés.
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.


SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0