Interview avec Vulgaires Machins

Date de publication : 31 octobre 2007
J’ai rendez-vous en ce mercredi 31 octobre 2007, à 18h, avec les Vulgaires Machins, au Clacson (Oullins), où ils vont se produire ce soir. Même avec les embouteillages et mon départ tardif de Lyon-Centre j’arrive à 18h pile-poil et les Vulgaires Machins sont justement en train de ranger du matos dans leur van. Après de brèves salutations on descend dans les loges pour démarrer cette interview.

Vous débutez aujourd’hui une nouvelle tournée française, c’est désormais chose habituelle de vous voir débarquer par chez nous, ça fait combien de fois ?

  • Guillaume (guitare/chant) : Ça doit faire sept je crois.
  • Patrick (batterie) : Non ça fait neuf.
  • Guillaume : Au moins huit ... En fait à chaque fois qu’on sort un nouvel album on essaie de venir au moins deux fois. Mais comme parfois on est venu trois fois en un an et d’autres pas du tout, ça équilibre. On a eu de très belles dates après « Aimer le Mal » et il y avait pas mal de monde à nos shows. Du coup quand on a sorti « Compter les Corps » on a senti que des gens voulaient nous revoir ici, et ça nous a encore plus donné envie de revenir. Huit mois après sa sortie au Québec on était déjà venu ici.

Vous avez donc été bookés assez facilement ?

  • Guillaume : Ouais ça a été assez facile. C’est toujours fun de venir ici, ça change du Québec où on a du mal à aligner des dates en raison du manque de concerts la semaine. Notre pays est environ deux fois plus grand que la France pour cinquante fois moins d’habitants alors les dates ne s’enchaînent pas aisément et de plus c’est très fatigant. Je me sens plus mal quand je rentre chez moi après une semaine de tournée au Québec qu’après un mois de concerts en France.

Vous avez, je pense, conquis votre public français en partie grâce à votre split avec les Burning Heads, et vous semblez liés avec un bon nombre d’autres groupes français. Ici vous tournez avec Guerilla Poubelle, avez-vous déjà songé à un split avec eux ?

  • Guillaume : On en parlera avec Till, c’est vraiment de bons amis. L’expérience avec les Burning Heads a été très fun, on a tourné sur pas mal de dates avec eux et il s’est créé une amitié qu’il est difficile d’avoir au Québec comme on n’enchaîne très peu les shows. Ce qui est fort ici, comme là avec Guerilla Poubelle, c’est qu’on a le temps d’avoir des idées et de les concrétiser, pas seulement d’avoir des paroles en l’air. Au Québec, après un concert, chacun rentre chez soi au lieu de se retrouver dans un bar comme c’est le cas en France…

De plus, Guerilla Poubelle est plus proche musicalement de vous que le sont les Burning Heads, déjà rien que par le chant en français…

  • Marie-Eve (guitare/chant) : Oui c’est vrai ça fait un point de plus en commun.
  • Guillaume : C’est l’un des groupes avec qui on a le plus d’affinités. Ils sont francophones, chantent en français, font du punk-rock mélodique, et leur démarche, leur philosophie, font qu’on se rejoint sur un paquet de points. On se sent privilégiés de jouer avec eux qui sont très connus ici. Par la suite on les fera venir chez nous.

Ils y sont déjà allés une fois si je ne me trompe pas ?

  • Marie-Eve : Oui une fois mais ils jouaient avec Eric Panic qui sont des amis à nous et qui ont arrêté récemment.

Ah bon ? Je n’étais pas au courant.

  • Guillaume : Oui, depuis cet été, c’est bête. Pour en revenir à Guerilla Poubelle, ils ont voulu venir une deuxième fois mais ils sont restés bloqués à la frontière pour des soucis de papiers.

Venons-en à votre dernier album « Compter les Corps » sorti il y a environ un an au Québec. Les critiques m’ont paru assez diverses avec d’un côté les fans appréciant votre tournant un peu plus pop, et d’autres regrettant les tempos rapides d’« Aimer le Mal »…

  • Guillaume : Ces choix n’étaient vraiment pas calculés, on a écrit la musique comme on voulait la faire et même si tous les journalistes et tous les fans avaient dit qu’il était dommage de ne pas être resté dans le créneau créé par « Aimer le Mal », ça n’aurait rien changé pour nous. On est fier de l’album et de le jouer en concert, qui nous aime nous suit ! (rires) Dans la mesure où c’est honnête on se fout pas mal de ceux qui pensent que c’était mieux avant, on continue d’avancer en espérant que des gens vont quand même continuer d’apprécier ce qu’on fait.
  • Marie-Eve : On a toujours eu ce côté pop sur certains morceaux, mais là il est plus prononcé. On ne sort pas de nulle part avec cet album, je trouve que c’est juste une évolution.
  • Guillaume : Et en live on joue encore d’anciens morceaux alors il y en a pour tout le monde.

Si vous l’enregistriez aujourd’hui, apporteriez-vous quand même des modifications ?

  • Marie-Eve : On a pris beaucoup de temps : un an d’écriture, deux mois de pré-production, trois mois de studio. C’est la première foisqu’on a pris autant de temps.
  • Guillaume : On avait vraiment les conditions idéales pour cet album et si aujourd’hui on regrettait certaines choses on s’en voudrait beaucoup d’un point de vue créatif. J’ai réécouté l’album il y a quelques jours et je l’ai trouvé bon du début à la fin, autant au niveau musical qu’au niveau des textes ou aucun propos ne me dérange. On est chanceux d’apprécier encore un an plus tard ce qu’on a fait. C’est sans doute notre expérience qui a joué. Sur les albums précédents des choses me dérangent contrairement à celui-ci.
  • Patrick : Tu parlais tout à l’heure des tempos, c’est vrai qu’ils sont un peu plus lents mais on a, je pense, beaucoup gagné en intensité, rien que par rapport au son de la batterie plus lourd dans un premier temps.

Vous avez récemment tourné le clip d’« Anéantir le dogme » qui a subit des censures chez vous. En associant les textes aux images, le message paraissait assez clair, le but était-il de choquer ?

  • Guillaume : On a laissé beaucoup de place à François Avard dont vous allez de plus en plus entendre parler car il va faire l’adaptation française d’une série s’intitulant Les Bouguons. C’est un auteur qui aime provoquer, qui a fait parler de lui par ses points de vue, par sa façon d’amener certains sujets sur la place publique, donc c’est sûr qu’en s’associant à lui on savait que çà ne ferait pas plaisir à tout le monde. En revanche le but n’était pas d’attirer l’attention sur nous mais plutôt de mettre en images les textes qui ont été développés. François a décidé de développer autour de la sexualisation. Et parce que c’était son premier vidéoclip, parce qu’on sait qu’aujourd’hui la sexualisation a une place énorme dans la société et dans la musique, ça a dérangé. Surtout parce que c’est très vrai et très cru. Mais le but n’était pas de provoquer pour provoquer mais bel et bien d’amener le débat.
  • Marie-Eve : En fait on ne voulait pas s’auto censurer par rapport à nos propos. (rires)
  • Guillaume : Exact. Et on a été un peu tristes de voir qu’une chaîne de clips comme Musique Plus (Québec) qui nous a toujours supportés sur nos neuf vidéoclips précédents n’ait plus de place pour nous maintenant qu’on était vraiment allés au bout de nos idées. Mais on a tout fait pour que le débat soit amené même sans Musique Plus, à travers des sites activistes par exemple. Et ça a marché. On a parlé du clip à la télé et des journalistes nous ont invités à débattre. Comme souvent, la censure a fait que les gens se sont intéressés au clip. Donc on est assez satisfaits dans l’ensemble.

On y voit à plusieurs reprises notre nouveau président français Nicolas Sarkozy, j’imagine que vous avez suivi les élections présidentielles françaises…

  • Marie-Eve : Lors de notre dernière tournée en France on jouait à Paris quand a eu lieu le deuxième tour des élections.
  • Guillaume : En réalité on fait de la promo pour Sarkozy. (rires) Non sérieusement c’est l’une des marionnettes de ce système néo-libéral et il n’était pas question pour nous de l’épargner au milieu d’autres personnes telles que le Pape ou Georges W. Bush Jr.

Venons-en aux textes. La marque de fabrique des Vulgaires Machins a toujours été la noirceur des sentiments, le pessimisme, expression d’autant plus prononcée sur « Compter les Corps » avec des titres comme « Les mains pleines de sang »…

  • Guillaume : Beaucoup de gens prennent ça d’un point de vue négatif mais je pense que la vie est sombre de toute façon, que ce soit d’un point de vue social ou politique. Et je trouve qu’il faut être naïf pour ne pas se rendre compte qu’on fonce droit dans le mur. On essaie simplement d’être réaliste et d’exposer des propos qui vont amener les gens à réfléchir autour du sujet. Sans vouloir dire que tout est trop tard, que notre sort est voué à l’échec, j’ai l’impression qu’il en faut beaucoup pour qu’il y ait une réelle prise de conscience. On vit dans un monde ou la médiocrité des médias fait qu’ils ne passent pas le message, et ce monde manque clairement de lucidité, de solidarité… Ce n’est pas une question de sentiments, c’est simplement du réalisme. J’écris comme ça, et je pense et espère que l’album fait plus appel à l’intelligence émotive plutôt qu’à des sujets simples et sans intérêts. Par exemple on parle de légaliser l’héroïne (dans la chanson du même nom), mais pour moi ce n’est pas une finalité c’est juste un lien entre les lignes, un désert de lucidité, une manière de vivre dans un monde un peu moins superficiel, un peu moins ignorant.

Il y a certains morceaux ou j’ai cherché à saisir le sens sans en trouver un, y a-t-il forcément toujours quelque chose à comprendre ? Je pense notamment à « Scatophile » de l’album précédent, « Aimer le Mal »…

  • Guillaume : « Scatophile » est l’exemple typique de chanson sans but, sans fond, ou il n’y a rien à comprendre. C’est fun car les gens cherchent souvent à comprendre nos textes mais c’est simplement un morceau humoristique.
  • Patrick : Allez avoue il y a un scatophile dans le groupe… (rires)
  • Guillaume : Oui c’est vrai Patrick est scatophile. (rires)

A l’époque de « Regarde le Monde », certaines personnes disaient que vous alliez vous coincer dans un créneau musical sans pouvoir évoluer. A l’écoute de « Compter les Corps » j’imagine qu’on ne les entend plus trop parler, qu’est-ce que vous voudriez leur dire ?

  • Guillaume : Honnêtement, rien. Moi aussi je porte des jugements sur ce que j’écoute, il faut savoir accepter les critiques. Je n’ai aussi aucun problème avec ceux qui écoutaient Vulgaires Machins il y a huit ans et qui ne se reconnaissent plus dans ce qu’on fait aujourd’hui. Il y en a même qui se sont intéressés à nous plus tard, que ce soit en raison de la meilleure production ou quoi que ce soit, mais il ne faut pas prendre les critiques personnellement et l’essentiel est d’être sincère dans notre démarche, d’écrire la musique pour les bonnes raisons, pas pour plaire aux gens, mais pour toutes les autres raisons qui ne peuvent se résumer en quelques mots.

Jusqu’à présent vous avez toujours été fidèles à Indica Records, et maintenant le label semble toucher un public un peu plus large avec notamment le succès des Trois Accords. Il vous soutient aussi politiquement en ayant financé le clip d’ « Anéantir le dogme ».

  • Guillaume : On a coproduit le clip avec eux, on fonctionne beaucoup de cette façon. Et si la relation marche depuis longtemps c’est que, politiquement et d’un point de vue créatif on a la liberté absolue. Ils nous donnent beaucoup de conseils mais si cela ne nous plait pas on ne le fait pas et personne ne nous en empêchera. C’est très important pour un groupe d’avoir l’appui d’un label qu’il soit d’accord ou pas avec nos choix. Mais aucune compagnie n’est parfaite et parfois c’est un peu laborieux, pas forcément comme on voudrait. Mais dans l’ensemble on se sent libres et si on n’était pas sur Indica je pense qu’on serait indépendant. Car peu de labels ayant la structure pour nous accueillir sont en phase avec nos idées. C’est pour cette raison que notre collaboration dure.

J’ai lu sur votre site que vous dédiez un concert à un certain Patrick Gravel décédé pendant un show, que s’est-il passé ?

  • Guillaume : C’est tout simplement que ce garçon avait une malformation au cœur. C’est pour ses amis et sa famille qu’on a mis ça sur notre site car on se doutait bien que Vulgaires Machins serait associé à tout jamais à Patrick.

Pas de drame dû à la violence, une émeute ou quoi que ce soit donc…

  • Guillaume : Non, c’est simplement une histoire triste.

J’ai remarqué qu’un bon nombre de groupes québécois comme EricPanic, Fifth Hour Hero ou Le Volume Etait Au Maximum comportent une fille dans le line-up, tout comme Marie-Eve pour les Vulgaires Machins, c’est beaucoup plus rare dans les autres pays, y voyez-vous une raison ?

  • Guillaume : Ils veulent tous nous copier c’est tout ! (rires) Non mais tant mieux ! Il n’y en aura jamais assez, d’autant que le milieu de la musique reste malheureusement assez macho.
  • Marie-Eve : Ça reste quand même assez rare que je rencontre des filles qui jouent dans d’autres groupes. C’était bien quand on jouait avec EricPanic parce que j’avais une copine ! (rires)
  • Guillaume : Très souvent les filles chantent mais peu jouent d’un instrument, que ce soit basse, guitare ou batterie. Mais je ne sais pas pourquoi il y en a plus au Québec qu’ailleurs.

Le mot de la fin ?

  • Guillaume : Marie-Eve, vas-y ! (rires)
  • Marie-Eve : Euh… A quelle heure on mange ?
  • Guillaume : Vive la France… Libre !

Allez je vous laisse aller manger ! A tout à l’heure pendant le concert !

“Un grand merci aux Vulgaires Machins qui en plus de m’avoir accordé cette interview m’ont accueilli avec sourire, bonne humeur, et gentillesse rares dans ce monde de brutes. Merci à eux d’avoir compris que sans la musique la vie serait une erreur (phrase écrite à l’égard des fans sur la dernière page de « Compter les Corps »)…”

Will



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