Interview avec Pelican

Date de publication : 10 avril 2007
Une terrasse ensoleillée, 20-25° au thermomètre, c’est dans ce cadre estival que se fait l’interview avec Laurent Lebec, adorable guitariste de Pelican, qui a accepté non seulement de répondre aux questions de Punkfiction, mais en plus de le faire en français.

Bonjour. Alors cette tournée, elle se passe comment ?

  • Super. C’est la meilleure tournée en Europe qu’on ai jamais faite, tu vois. C’est un mélange de différentes choses en fait, c’est que... Ecoute, c’est la première fois qu’on vient avec le gars qui fait le son du groupe...

L’ingénieur son ?

  • Ouais voilà, l’ingénieur son. Donc pour nous, c’est un certain confort de savoir que le son qui sort en façade, c’est vraiment une représentation que nous on connaît, et bon, on a foi en lui quoi. Toutes les tournées qu’on faisait en Europe avant, on avait à faire avec des personnes qui étaient locales (ndlr : il parle des ingés son, pas des groupes). Et puis bon, il y a toujours quelques problèmes de communication, mais c’est aussi le fait que il y ait beaucoup de salles en Europe qui ont des limitateurs de décibels. Donc quand tu as ton propre ingénieur son, c’est rarement un problème, tu vois. Et puis c’est surtout, quand il y a un solo qui sort, tu sais que il sera poussé, donc pour le confort, c’est vachement bien. Et puis, il y a aussi la réaction du public. Bon c’était super avec Cave In, quand on était en Angleterre pendant deux semaines en décembre 2005 ; mais là vraiment, il y a une connaissance de notre répertoire, et puis les gens apprécient qu’on joue des nouvelles chansons, c’est vraiment bien.

Et vous aimez l’Europe, vous aimez y jouer ?

  • Bah oui, on adore. Il y a un intérêt pour la musique, ici, en concert, que tu trouves rarement aux Etats-Unis. C’est plutôt... Enfin, c’est rare aux States que quand tu arrives, ton dîner est préparé, que toute la nourriture et la bière que t’as demandé soit toujours là ; que tu ais vraiment une réaction forte du public, que tout le monde a envie de te parler, tu vois et qu’il y ait des t-shirts qui se vendent... Pour moi, c’est vraiment la tournée idéale en Europe. Et puis aussi, tu vois, quand tu roules pendant cinq heures, tu es dans un pays totalement différent. Aux Etats-Unis, tu roules pendant 10h, tout se ressemble, tu joues pour 100 personnes au milieu de rien du tout ; et tout ça, c’est pour arriver aux plus grandes villes, donc c’est plus dur. Et puis tu joues beaucoup plus tard, tu joues rarement avant minuit. Bon t’as fini à 1h, tu sors à 2h, t’es à l’hôtel à 3h, tu te lèves à 10h le matin, tu conduis toi-même, c’est beaucoup plus dur. Mais bon, tu continues à le faire. Sinon, on s’arrêterait. Mais on vieillit plus rapidement je crois. [rires]

Et en France, vous avez un bon souvenir de votre concert avec Cave In ?

  • C’était super, la Boule Noire, c’était magnifique. Ecoute, c’était ma première fois à Paris, donc je vois le show ’sold out’ à Paris la première fois, c’était.. J’ai quitté la France quand j’avais 12 ans, donc ça me touchait profondément. Mais la tournée avec Cave In était très positive pour nous, on appris beaucoup. Parce qu’en fait, avant la sortie du dernier album, donc avant juillet 2005, on tournait, mais c’était deux semaines ici, deux semaines là. Quand cet album est sorti, c’était vraiment une décision commune de s’y donner vraiment, à 150%, de quitter nos jobs et de tourner tout le temps. Donc cette tournée avec Cave In, on a appris beaucoup. Surtout jouer avec un groupe qui avait tellement d’expérience, c’était super d’ouvrir pour eux.

Là vous tournez avec These Arms Are Snakes ; Cave In, ils étaient d’Hydrahead aussi... Ce label c’est un peu votre famille ?

  • Oui c’est vrai, c’est un peu incestueux. En fait, c’est un des labels sur lequel on voulait être, parce que tous les groupes qui y étaient, on les écoutait en tant que fan. Tu vois, quand tu commences, tu te demandes "sur quel label je pourrais être". Et puis après, tu y trouves des groupes pour faire des tournées. Non seulement tu es associé à des groupes que t’apprécies à cause du label, mais aussi, quand tu commence à faire des concerts et les tournées ensemble, c’est genre "il y a au moins 15 groupes avec qui j’ai envie de tourner que je connais en amis", donc c’est très facile. Et puis ces tournées avec These Arms Are Snakes, Cave In... on tourne toujours tous ensemble tu vois. Et puis ce qui est bien, c’est que c’est un label où les groupes sont vraiment tous différents : tu peux voir These Arms Are Snakes, puis après Pelican, mais dans ta tête, il y a un certain sens là-dedans, ça marche.

Et une collaboration avec un autre groupe, pour un split, ou même juste un featuring, ça vous intéresserait ?

  • Oui, avec les Scorpions. Non, je rigole [ndlr : j’ai quand même totalement marché dedans, ma naïveté me perdra]. Avec Mono, on a fait une collaboration, on a sorti un split qui était en vynil, très limité. C’était assez bien, mais ce qui était marrant, c’est que notre côté était beaucoup plus lent et mélodieux ; et leur côté, c’était vraiment la bombasse, donc c’était assez ironique. Mais sinon, avec Jesu je pense que ce serait possible. On en a parlé avec eux, on avait envie de sortir une collaboration où on ferait une cover du groupe Slowdive. C’est un groupe anglais assez shoegaze, comme My Bloody Valentine, dans les années 90. Ça aurait été vraiment super, très ouvert, beaucoup de petites guitares mélodiques, et puis surtout la voix de Justin [ndlr : Broadrick, le chanteur de Jesu] là-dessus, ce sera vraiment bien. Donc, ça se fera un de ces jours, quand on aura le temps, mais pour l’instant...

...Vous tounez.

  • Ouais, voilà. On survit.

Sinon, votre prochain album "City Of Echoes". Il est disponible sur Internet, depuis un certain temps. Ça vous dérange que les gens le téléchargent comme ça ?

  • Non, parce que... En fait, la seule chose qui me dérange, c’est que la version qui est sortie sur Internet, c’est pas le mastering final. Ça arrive à beaucoup de groupes, tu sais, parce que quand t’as fini d’enregistrer maintenant, la demande pour la presse, elle se fait deux mois à peu près en avance, donc t’es obligé de donner quelquefois un produit qui n’est pas encore fini pour qu’ils puissent écouter la musique. Malheureusement, il y a toujours des cons qui ont envie de sortir la musique sur Internet, donc quand t’envoies 300 disques, tu vois, c’est vachement dur de protéger tout ça, c’est vachement cher aussi. Mais donc ce qui me dérange, c’est que quelquefois la critique est très immédiate, c’est "ah, voilà le nouvel album de Pelican, bon allez, j’écoute autre chose maintenant.". Mais bon, j’essaie de pas trop y prêter attention. Le bon côté, c’est que quand tu es en concert et que quelqu’un a déjà entendu les chansons, il les connaît tu vois.

Oui je vois très bien, je suis moi-même dans ce cas.

  • Exactement, mais ça tu vois, pour moi, c’est important. De toute façon, je pense qu’on a toujours eu un public qui achète le CD, le vynil, les t-shirts plus tard pour avoir la musique avec eux, donc ça me dérange pas trop.

Et votre album, vous avez repoussé la sortie pour finir le mastering alors ?

  • Oui voilà. Mais bon l’album, il sortira maintenant début juin, donc c’est bientôt. Je suis très content de lui, de la version finale.

La version non masterisée, elle est bien aussi.

  • Oui c’est sûr, je l’aime aussi, cette première version on a décidé qu’elle était OK. Mais tu l’écoutes deux semaines après que t’aies fini d’enregistrer, t’entends des petits trucs, tu te dis "oh je l’ai écouté sur mon iPod, bon j’ai envie de pousser la basse un petit peu". Il y a des petits détails comme ça que tu finis un peu plus tard.

Pour l’interview que vous avez faite au festival SXSW, est-ce qu’elle va être sur votre DVD à paraître, ou bien ce DVD c’est une réédition de celui que vous avez fait avant ?

  • Oh non non, c’est totalement différent. C’est une prestation de concert qu’on a fait à Londres en décembre 2005, où on a joué une heure et 15 minutes. Et Justin Broadrick a fait l’enregistrement, le son live ce soir-là. On a eu sept caméras, plein de lumières, pour nous c’est grandiose. Ça se rapproche de groupes comme Pink Floyd, en tant qu’utilisation de lumières, etc... Enfin, c’est vraiment bien fait, il y a beaucoup de finesse dans le travail des caméras, des gros plans sur les mains, sur les pédales. C’est une version sur DVD qui est assez émouvante je trouve. Bon évidemment, c’est ma musique donc ça me touche beaucoup. Mais il y a aussi beaucoup d’extras dessus, il y a une bonne heure et demie de concert , plus les débuts du groupe, les premiers concerts et puis quelques interviews. Donc pour moi, c’est vraiment un package assez complet. Ça devait en fait sortir entre les deux albums, pour pouvoir finir la période "Fire In Our Throats" et commencer cette nouvelle période du groupe, mais on avait des problèmes techniques avec le DVD, donc on a du repousser ça à septembre. C’est dommage, ça n’a pas le même... purpose. Euh je sais pas, la même mission. En tout cas, l’impact est différent de sortir ça après le nouvel album, mais ça sera bien quand même je pense.

En fait, c’était un peu pour faire patienter les gens ?

  • Oui voilà, exactement. En fait, il y avait une intention derrière cette sortie, mais bon ce moment on l’a perdu. C’est pas grave, ça restera bien je pense.

Et donc, cette interview que vous avez faite au SXSW, elle va être dessus ou pas ?

  • Tu penses à quelle interview ?

Celle où il y a un débat... Enfin, j’ai lu ça sur votre myspace, les gens ne sont pas très d’accord que vous la mettiez sur MTV

  • Ah celle-là... Non non, elle ne sera pas dessus, parce que la production a déjà commencé pour le DVD, donc il y a plus de place pour quelque chose de nouveau, mais il y en a d’autres qui sont assez profondes. De toute façon, ce débat sur le fait être sur MTV ou pas, ça m’a vraiment choqué tu vois. Bon, évidemment, c’était cinq personnes sur cent, mais ça m’a emmerdé au point où je me suis dit...[silence] Ecoute, il n’y a rien dans la façon dont on présente, dont on joue la musique qui est commercial en fait, vraiment rien qui indique qu’on est ’sell out’ (ndlr : vendu), qu’on essaie de devenir quelque chose d’autre. Donc recevoir cette réaction, enfin c’est vachement réactionnaire tu vois, ça m’embête parce que ce n’est pas une réponse qui est profonde en fait.

Je comprends que ça énerve. En plus, j’ai lu ce que vous dit, que c’était juste pour que plus de monde puisse l’écouter cette interview, que c’était pas pour autre chose.

  • Oui exactement. On a fait des concerts avec des groupes comme les Deftones, même là il y a vait des fans qui nous reprochait ça, genre "Eh, c’est quoi ça !" et tout. Tu sais quand t’avais 14 ans, tu connaissais pas tous les meilleurs groupes du monde, tu ne connaissais que ce qu’on te disait d’écouter dans un ou deux magazines, à la télévision etc... Moi, j’aurai apprécié quand j’écoutais Poison, des trucs comme ça, du Mötley Crüe, si quelqu’un m’avait présenté quelque chose de différent tu vois. C’est la même raison.

Plus généralement, pour votre musique, vous avez décidé de ne pas avoir de chanteur, est-ce que vous pensez que votre musique communique surtout des émotions, ou est-ce qu’il y a autre chose à chercher derrière ?

  • Ce que j’ai envie que notre musique donne, c’est l’interprétation personnelle de la musique en fait. Et je trouve que c’est quelque chose qui manque quand la musique est présentée avec une voix qui est au centre de tout le mouvement de la chanson. L’émotion qui est suggéré, elle est déjà marquée par le chant tu vois. Tandis qu’avec de la musique instrumentale, tu peux interpréter ça d’une façon beaucoup plus personnelle, différente selon ton humeur. Comme je pense que la plupart de la musique que les gens écoutent ces jours-ci, c’est de la musique avec une voix. Surtout la musique pop et rock, il y a toujours une voix. La musique instrumentale ouvre quelque chose qui est assez nouveau et différent ; c’est une expérience unique si l’auditeur a envie de s’investir. Et donc évidemment, quand tu joues cette musique, tu auras beaucoup moins de personnes qui auront envie d’essayer, c’est le risque que tu prends. Mais pour moi, savoir que dans le monde entier, il y a 60 000 personnes qui ont essayé de nous écouter et qui ont acheté nos disques, c’est le succès total.

En fait, c’est pour être sûr d’avoir des vrais fans, et pas des gens qui vont passer à autre chose d’ici quelques années ?

  • Oui exactement. Parce que je pense que quand tu développes une relation avec un groupe qui présente des choses instrumentales, ou plus avant-garde, qui offre quelque chose de plus originale, c’est une relation plus personnelle. Mais en disant ça, ça veut pas dire qu’on aura jamais un chanteur, ça veut pas dire qu’on essaiera jamais la voix. Pour nous l’inspiration a toujours été instrumentale, mais je suis sûr qu’un jour il y aura l’idée d’essayer un instrument différent, et l’instrument qu’il nous reste à essayer c’est la voix. Ça nous attirerait d’essayer la voix un de ces jours, mais pas pour l’instant.

Dernière question : pourquoi vous avez choisi ce nom, Pelican ?

Parce que je suis français. Non je rigole. Je sais pas, c’était surtout l’idée d’avoir un nom qui suggérait l’envol, les grands espaces naturels, la possibilité de voyage, et bon tu pense tout de suite aux oiseaux, au vol. Et puis bon, je sais pas vraiment pourquoi on a pensé à cet oiseau en particulier, peut-être parce qu’il était assez mystérieux, assez secret. En fait, c’est une grande poubelle, je les ai vu par la centaine en Floride, ça a l’air majestueux au début, et puis après tu les regardes et tu te dis "Merde mais ils font quoi ? Ils se comportent comme des pigeons !". Donc c’est assez marrant, mais je pense que la plupart des gens ne savent pas encore ça, donc je garde ça en secret. On aurait peut-être dû avoir un nom comme "Faucon" ou "Aigle".

Ah, non, c’est trop agressif pour vous je trouve.

  • Oui t’as raison, c’est trop agressif, mes talons deviennent trop grands [ndlr : ça doit être l’expression pour "les chevilles qui enflent"]. En fait, c’était surtout pour la mer qu’on a choisi ce nom.

Ça se voit sur les artworks de vos albums, on voit souvent qu’il y a un rapport à la mer.

  • Oui oui totalement. Bah en fait, je suis de Bretagne. J’habitais à Paris, mais j’ai passé tous mes étés et mes hivers à côté de Nantes, à La Baule. Donc il y a sûrement une relation avec la mer là-dessus car dans ma famille, c’était bateau, bateau tout le temps. Ça doit venir de souvenirs lointains, étant enfant sur un dériveur, qui est ressorti dans le nom du groupe.

C’est drôle, le webzine est basé en Bretagne.

  • [rires] Ah bah voilà ! Non mais je suis totalement breton, toute ma famille est de Bretagne.

Bon une dernière question, vraiment dernière : ta Gibson, elle est de quelle année ?

  • 1981. Les deux. C’est une année très importante pour l’histoire des Gibson, parce qu’ils faisaient la transition entre la musique des années 70 avec des vraiment des grosses, grosses guitares. Après, ils ont du s’adapter à l’émergence du metal, où toutes les autres compagnies de guitares présentaient quelque chose de beaucoup plus fin, où tu pouvais bouger dessus. Donc 1979 à 1983, c’est une période où Gibson a fait des guitares pour les personnes avec des petites mains qui voulaient jouer beaucoup plus rapidement, donc j’essaie de trouver les guitares de 1981 parce que ça marche vraiment bien pour moi.

Et bien merci beaucoup.

  • Mais de rien, merci à toi.

“Merci à l’équipe d’Active Entertainment, à Laurent Lebec, et à David pour le mini-disc qui m’a été très utile vu la longueur des réponses.”

Soss M@yo



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