Pas mal d’années maintenant qu’Eugene Hutz et sa bande jouent les équilibristes. Et pas seulement musicalement, le groupe étant régulièrement courtisé par les tentacules du star system (Madonna, shows TV, pages people etc…), toujours avide de nouveaux freaks à exhiber. Les majors ont ainsi cru voir débarquer leur Lady Gaga des Balkans, là où Gogol Bordello fondait sa démarche sur des valeurs fondamentales et universalistes. Pourtant les sirènes des majors auront finalement charmé nos gypsy punks, indirectement certes, mais avec le célèbre Rick Rubin aux commandes de cet opus (System Of A Down, Red Hot Chili Peppers…), c’est bien sur American Recordings, subdivision de la major Sony Music Entertainment, que sort Trans-Continental Hustle.
Chronique :
A la sortie de son premier album sur Side One Dummy, Eugene Hutz avait décrit sa musique par le terme « Gypsy Punk Cabaret », créant ainsi un nouveau genre et légitimant la reconnaissance future du groupe, celle réservée aux novateurs, à ceux qui font avancer la musique. Mais pour ce qui est de l’aspect « cabaret », le fait est que Gogol Bordello a toujours su comme dirait l’autre, « ménager la chèvre et le chou » : le vraiment punk et le vainement folklorique, le ragout épicé et le fade navet roumain, le cabaret et la kermesse en fait... Certains n’ont jamais été voir au-delà de l’aspect festif et vaguement bamboleo de ces gars-là : tant pis pour eux. Ce qui est certain c’est que cet album, plus complaisant, ne séduira pas les sceptiques d’antan.
On aurait pu craindre un appauvrissement de la démarche désormais éculée, ce nouvel album étant confié aux mains expertes mais pas forcément bien intentionnées de Rick Rubin. Cet album est assurément le plus soft de l’histoire du groupe, il est assez facile d’accès, pas très électrique et plutôt intelligemment agencé. Un morceau festif ouvre le disque suivi d’une déflagration plus agressive et d’une pause nostalgico-émotionnelle à base de texte sur l’immigration… Et ainsi de suite, sans véritable temps morts, mais avec la volonté (encore une fois réussie) d’offrir un voyage. La recette est la même et ne devrait pas décevoir les aficionados de la frange la plus folklorique du groupe… même si, aller disons-le, le filon s’épuise un peu sur la longueur, la faute à un concept moins « habité » que sur les deux albums précédents.
Hors mis la fougue de la très Mano Negresque « Immigraniada (We Comin’ Rougher) », l’album est relativement lent et dub, basé sur des alternances bien cernées de beats technoïdes, d’envolées de violon, d’intro ouatées, colorées ici par l’Asie, là par les Carpates, ailleurs par l’Amérique du Sud… Tout ça porté aux nues par la voix si particulière d’Eugene, fidèle à elle-même, pas édulcorée pour un sou (« In The Meantime In Pernambuco »), tout juste soutenue plus que par le passé par des chœurs bienvenus.
Je vous avoue avoir eu du mal à rentrer dans ce nouveau disque, Super Taranta ! ayant pour moi atteint des sommets aussi bien musicaux que philosophiques, et cet album générant, il faut bien l’avouer, une désagréable impression de déjà entendu. Néanmoins au fil des écoutes, et même si l’impression générale est plus « festival de musiques du monde » que « Zone Du Folklore Mondial », Trans-Continental Hustle parvient à séduire et contient son pesant de titres sublimes et profonds (« My Companjera »).
Il vous sera bien difficile de déceler la part punk du groupe si vous le découvrez par ce disque et n’allez pas ouvrir le livret. Cet album sonne pourtant comme une invitation à la tolérance et à aller chercher plus avant ce qui se cache derrière la moustache rigolarde de cet indécrottable prêcheur gypsy punk, Eugene Hutz…
Infos
Note : 16,5 / 20
Année : 2010
Durée : 54 minutes
Labels :
American Recordings / Sony Music
Tracklist :
01. Pala Tute
02. My Companjera
03. Sun Is On My Side
04. Rebellious Love
05. We Comin' Rougher (Immigraniada)
06. When Universes Collide
07. Uma Menina Uma Cigana
08. Raise The Knowledge
09. Last One Goes The Hope
10. To Rise Above
11. In The Meantime In Pernambuco
12. Break The Spell
13. Trans-Continental Hustle