Propagandhi - Supporting Caste

Date de publication : 10 mars 2009 par Punkachu

Contexte :

De gros changements en perspective dans la carrière de Propagandhi. Un cycle s’est terminé, l’ère Fat Wreck Chords a pris fin (on rappelle que c’est Hassle Records qui sort le disque pour l’Europe, G7 Welcoming Committee pour le Canada, et Smallman Records pour les Etats-Unis), une boucle s’est bouclée, Propagandhi peut maintenant prendre une nouvelle dimension ou mourir, quinze ans après How To Clean Everything...
Avec l’adjonction à plein temps d’un second guitariste, David "the beaver" Guillas, le groupe s’est offert de nouvelles possibilités musicales. A avoué peut-être aussi qu’il s’usait à vouloir rester en trio. Ce cinquième véritable album studio, après quatre nouvelles années d’attente (c’est le tarif avec ce groupe), était donc, pour le moins, attendu au tournant…

Chronique :

Leaké sur le web un bon mois avant sa sortie, en qualité médiocre parfois, la génération mp3 se sera vite emparé de Supporting Caste. L’album aura d’emblée suscité l’enthousiasme, certains enterrant d’ores et déjà le Potemkin City Limits de 2005… Discutable. Ce groupe ne laisse de toute façon pas indifférent, l’album précédent ayant divisé jusque dans le public des canadiens... Supporting Caste, plus consensuel musicalement même si, on le verra, encore très créatif et dense ; devrait contenter les fans de toutes les époques.
J’ai pourtant eu un peu de mal à rentrer dans cet album. Rien d’étonnant c’est habituel avec Propagandhi, mais il y a plusieurs éléments à souligner.

Évidemment on remarque vite l’apport de David Guillas ; dans les plans instrumentaux souvent tortueux rythmiquement - hérités de Giant Sons son ex-groupe, dans l’adjonction encore plus fréquente de riffs heavy, de palm mute de folie etc… On a aussi la sensation plus marquée, dans le débit et la construction des lignes de chants, que le groupe écrit plus que jamais ses textes en prose avant de composer sa musique. Soulignons également le retour à une ambiance moins pessimiste et sombre (« The Banger’s Embrace »), à un état d’esprit rappelant la période pré-TETA…
Plusieurs éléments qui m’ont donc un peu perturbé. Étonnant comme avec ce groupe ce sont les points les plus positifs soulignés par certains qui à d’autres posent problème. Enfin tout est relatif, car qu’on soit fan du début de Propagandhi ou de sa période post-2001, il est indéniable que Supporting Caste apporte sa pierre à l’édifice du groupe, contestataire, anti-obscurantiste et libertaire (le texte du morceau-titre en est un symbole : « When the credits finally roll for this, the worst story ever told, don’t bother sifting through the names for yours or anyone you know... Because history exalts only the pornography of force that of murderers and psychopaths. The rest of us, of course, stricken from the narrative wholesale : a back drop to the tale »).
Chris déclarait ainsi à l’automne 2008, juste avant d’entrer en studio, que le nouvel album sonnait à ses oreilles comme « a composite of Potemkin City Limits, Less Talk More Rock, Giant Son’s Anthology and a carefully measured dose of Today’s Empires Tomorrow’s Ashes » : le-changement-dans-la-continuité-de-ce-qu’ils-faisaient-avant, quelque chose comme ça, non !?

Un élément jouait en tout cas, pour moi, en défaveur de Supporting Caste : avoir entendu le meilleur morceau du disque avant de l’écouter en entier. Non, parce que « Dear Coach’s Corner », il faut bien l’avouer, c’est un petit chef-d’œuvre qui vous hérisse les poils sur les bras (après une intro speed metal dantesque) ! Là pour le coup, le groupe évolue dans ce qu’il sait faire de mieux depuis plusieurs années : un mid tempo catchy, porté par une merveilleuse ligne de chant claire et triste, le tout sur un texte poignant adressé à Ron McLean, canadien d’origine allemande, présentateur de l’émission de hockey Coach’s Corner avec son acolyte Don Cherry, tous deux et bien connus pour leur positionnement politique très (très) à droite (dont ils font part allègrement pendant ses commentaires sportifs).
D’autre part on pourrait contester le choix de démarrer le disque par la très thrashy « Night Letters », chantée par The Rod. Cet excellent morceau, brutal et épileptique, peine pourtant à faire rentrer l’auditeur dans le disque. Moi qui aimais plutôt jusque-là les interventions rêches et abrasives de Todd "The Rod" Kowalsky, je ferais en fait la même remarque avec les autres morceaux chantés par le bassiste. « This Is Your Life » (sur le cynisme du citoyen lambda aigri, aliéné et indifférent) et la très passable « Incalculable Effects » (sur les violences intra-familiales), viennent à chaque fois juste après de petits bijoux mélodiques tels que « Dear Coach’s Corner » et « Without Love » (peut-être le texte le plus émouvant et personnel jamais écrit par Chris) et cassent un peu le rythme de l’album.

Au-delà de ces quelques réserves, l’album - pourtant long - défile à un rythme effréné, avec beaucoup d’émotions différentes. Malgré des lignes de chant qui en rappellent d’autres, force est de constater que Chris Hannah n’a jamais aussi bien maîtrisé son organe vocal, vraiment reconnaissable entre mille. Enrichi par des audaces rythmiques quasi-uniques et un travail parfois très complexe aux guitares, Supporting Caste est parsemé de pépites telles que « Tertium Non Datur » (une reprise de « Repairing The Damaged Beard » de Giant Sons, et où Jordan Samolesky, le batteur, est juste énorme, on ne le signale pas assez souvent), « The Funeral Procession » ou encore « Potemkin City Limits » (encore un superbe texte métaphorique sur le destin d’un employé d’abattoir, cf. la chronique de l’album précédent pour la définition de la locution imagée « potemkin city limits »).
Pas mal d’humour (les credits, la reprise de « Come To The Sabbath » de Black Widow en piste bonus…), beaucoup de références dans un livret encore très riche pour aiguiller l’auditeur (dont un très beau dessin de The Rod), pas mal d’autodérision, une quantité de phrases et de citations marquantes à en retirer, une conscience aigue de l’état du Monde et de toutes les limites d’un groupe rock dans ce qu’il peut y changer (les 6 minutes de « Last Will & Testament », criante de vérité et émouvante au possible sur sa longue intro instrumentale)... Musicalement de la nuance à l’extrême, juste mâtinée comme il faut d’excès assumés de manière plutôt jubilatoire (l’intro de « Dead Coach’s Corner », les plans heavy mais pas étouffants etc…), que demander de plus ?

Il est des groupes qui peuvent changer une vie, des carrières qui inspirent le respect, des mélodies qui marquent parce qu’elles portent des prises de positions qui ouvrent les yeux (le post-végétarisme, « Human(e) Meat » et la polémique que ce titre a générée etc, on peut adhérer ou pas à tout ça, n’empêche que ça fait du bien d’y réfléchir)... Pourtant il est des auditeurs écervelés qui resteront sourds à la richesse que peut apporter un groupe comme Propagandhi, notamment en se fichant de ce qu’il raconte, de ce pour quoi il se bat depuis le début des années 90. Dès son premier album le groupe le prévenait pourtant « Propagandhi ce n’est pas qu’un autocollant sur un skateboard ». Avec ces canadiens le punk rock redevient autre chose que de la musique, retrouve sa vocation de départ, ses origines mêmes… De nos jours et à un tel dégré de popularité et de reconnaissance, c’est quasi inégalé, et c’est pour cela qu’on le signale. Ultra respecté pour sa qualité technique et artistique, vénéré pour son engagement et son intégrité, Propagandhi est l’un des groupes punk les plus importants de notre époque.



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BIOGRAPHIE DU GROUPE


Propagandhi


Note : 18 / 20

Année : 2009

Durée : 52 minutes

Label : G7 Welcoming Committee Records / Smallman Records / Hassle Records

Du Son : SOUND

Tracklist :

01. Night Letters
02. Supporting Caste
03. Tertium Non Datur
04. Dear Coach’s Corner
05. This Is Your Life
06. Human(e) Meat (The Flensing of Sandor Katz)
07. Potemkin City Limits
08. The Funeral Procession
09. Without Love
10. Incalculable Effects
11. The Banger’s Embrace
12. Last Will & Testament