déc.
29
2006
|
Interview >> Strike Anywhere |
Interview de Thomas Barnett (chanteur de Strike Anywhere) juste avant leur date du 10-12-06 au Batofar de Paris, dernière date de leur tournée européenne 2006 en compagnie de The Loved Ones.
Salut Thomas. Alors ce soir c’est la fin de votre tournée européenne avec The Loved Ones, comment ça s’est passé ?
Oh c’était géant. On est vraiment tristes de partir, parce qu’on a vraiment passé du bon temps avec The Loved Ones, nos amis, notre tour manager, tout le monde… une vraie famille ! On a eu aucune journée de repos, on a commencé à Liverpool, on a fait le tour de l’Europe, parcouru beaucoup de kilomètres mais on ne sent même pas fatigués.
Bah c’est cool ça, vous allez jouer plus de chansons que d’habitude ce soir alors pour finir en beauté ?
(Rires) Malheureusement on joue autant de chansons que l’on peut, et on doit partir rapidement ce soir pour l’aéroport de Francfort...
Comment vous vous occupez pendant ces longues tournées ?
Certains lisent, on dort beaucoup aussi (rires). On regarde aussi par la fenêtre du bus les endroits où nous sommes, les paysages, tout ça...
Vous avez le temps de visiter les pays dans lesquels vous jouez ?
Aujourd’hui oui, pour ma part. On est venu en 3 heures de Lyon et les autres étaient crevés, mais on essaie toujours de visiter les capitales, au cas où on ne pourrait pas revenir...
Vous avez prévu de revenir bientôt ?
Justement on en parlait, et on pensait revenir vers l’été, aux alentours de juin, pour des festivals probablement.
‘’Dead FM’’ est sorti il y a maintenant quelques mois, est-ce que tu le considères comme votre meilleur album ?
Je pense que beaucoup de groupes se plaisent à dire que leur album le plus récent est leur meilleur (rires). Je ne sais pas si dire que ‘’Dead FM’’ est le meilleur que l’on ait fait jusque maintenant a vraiment un sens. En tout cas c’est celui qui représente le plus honnêtement ce que nous sommes en ce moment.
Pourquoi avoir une nouvelle fois travaillé avec Brian McTernan en tant que producteur ?
C’est un bon ami, on le considère comme le sixième membre du groupe. Il vient de la même scène que nous, et c’est très important pour nous de travailler avec quelqu’un qui comprend ce qu’on essaie de faire. Brian a beaucoup apporté à cet album, il sait ce que l’on veut faire et nous aide à y parvenir, et le résultat est tout simplement beau. On a vraiment une superbe relation musicale avec lui.
Comment avez-vous décidé de signer chez Fat Wreck ?
On avait déjà sorti un 45 tours chez eux en 2001 (ndlr : Bread Or Revolution). Donc on les connaissait déjà un peu, même s’ils sont de Californie, on se croisait à l’occasion. Et en parlant avec Fat Mike il a dit genre "Peut-être que vous pourriez faire un album sur Fat Wreck", et nous juste "Ouais peut-être bien". On aime bien leur manière de faire, ce n’est pas le genre de label où on va venir te dire dans quelle direction aller. Et puis ce deal avec eux n’est que pour un seul album, on verra pour la suite.
Autrefois Fat Wreck était surtout connu pour le punk californien à la No Use For A Name, Lagwagon, NoFX... Il y a une nouvelle tendance avec des groupes comme Against Me !, The Sainte Catherines, The Lawrence Arms... Est-ce que cette évolution a pesé dans votre choix ?
C’est une question qui revient beaucoup en Europe en fait. Le son Fat Wreck semble être devenu légendaire, et en ce moment semble s’opérer une transition mais ceci-dit Propagandhi y était, Avail, Snuff aussi depuis longtemps... The Lawrence Arms sont bons, Dead To Me aussi ou Smoke Or Fire... Ce sont des groupes que l’on apprécie, sans doute parce que nous sommes de la côte Est, de Virginie, et que l’on ne comprend pas beaucoup le punk californien. C’est un très grand pays tu sais (rires), donc on est éloignés de la côte Ouest, et notre approche du punk est différente de celle de ses groupes. Je ne me serais pas imaginé sur Fat Wreck il y a 7 ans, mais ils ont changé et en bien, donc on est bien là où on est et ça ne nous a pas changé du tout.
Fat Wreck est un label punk prestigieux, avez-vous ressenti une quelconque pression pendant l’enregistrement de ‘’Dead FM’’ ?
Non, enfin pas parce que l’on était sur un gros label. Juste la pression que l’on s’inflige à nous-mêmes pendant l’enregistrement d’un autre disque de punk rock politisé.
Vous aviez sorti Bread Or Revolution sur Fat Wreck il y a donc 5 ans, comment juges-tu l’évolution de Strike Anywhere depuis cette période ?
C’est une bonne question... Je ne sais pas vraiment, on est encore très proches de cette période. Certaines chansons de Dead FM ont été écrites il y a longtemps, mais juste en version acoustique, donc je pense qu’il y a toujours un lien, que l’on est toujours dans la même période en fait.
Against Me !, Anti-Flag et Rise Against, ont connu le même parcours que vous avant de signer en major, est-ce que vous pourriez envisager de suivre leurs traces ?
Je ne sais pas. Je ne pense pas que si tu leur avais demandé à eux avant qu’ils ne signent ils auraient pu répondre qu’ils allaient le faire. Je pense que c’est quelque chose qui est arrivé... pas rapidement, mais sans qu’ils le prévoient. On essaie d’être au-dessus de tout ça. On a vu pendant le Warped Tour que ce mode de fonctionnement marchaient pour certains groupes, mais il y a beaucoup de concessions à faire, y compris être assimilé à certaines ‘companies’. Cela ne nous conviendrait pas, nous sommes très heureux dans le circuit indépendant. On n’a pas de plan de carrière, on est des punks ! (rires) On a même pas notre "high school diploma" (ndlr : l’équivalent de notre bac).
C’est encore une fois Richard Minino (des New Mexican Disaster Squad) qui réalise la pochette de Dead FM, comment l’avez-vous choisi ?
Oui il avait également réalisé celle de To Live In Discontent, et c’est en effet le batteur des New Mexican Disaster Squad - super groupe ! - c’est un véritable artiste. On lui avait fait écouter quelques chansons sur des démos qu’on avait enregistrées, et il a commencé à travailler sur des idées que tout ça lui donnait. C’est vraiment quelqu’un de doué, et en plus c’est un bon ami.
Vous vous investissez beaucoup politiquement, est-ce que tu penses que la scène punk américaine s’est un peu réveillée ces dernières années avec votre gouvernement actuel ?
Je pense que oui, d’une certaine manière. Le punk a toujours été en colère et politiquement rageur, mais je pense que le punk américain ‘mainstream’ s’est réveillé, et enfin tout le monde s’est dressé, et je suis très fier de cette mobilisation. De supers chansons, de supers albums sont ainsi sortis. C’est bien que la scène soit en mouvement, essaie des choses pour exprimer ses opinions.
C’est devenu monnaie courante maintenant pour un groupe américain de crier "Fuck Bush" pendant ses concerts, même les Good Charlotte... Qu’est-ce que tu en penses ?
Je ne sais pas... C’est très entendu de faire crier les gens "Fuck Bush", mais c’est quand même beaucoup. Je pense que l’on doit davantage en parler... Là c’est trop facile, trop simple. Je crois qu’ils croient à ce qu’ils disent, mais je pense qu’il y a beaucoup plus à faire que de faire crier ça au public comme dans un match de football.
Et quand vous êtes en tournée, vous vous tenez au courant de la vie politique des pays dans lesquels vous jouez ?
On essaie. Mais on n’a pas forcément le temps, on est tout le temps dans le bus (rires). Quand on rencontre des gens on parle avec eux, on passe des bons moments et on apprend des trucs. Mais ça nous arrive souvent aussi d’être dans un pays et de parler d’un autre pays. On nous parle souvent des Etats-Unis, on m’en parlait à Bruxelles et là encore à Paris. Mais ces expériences internationales nous apprennent beaucoup en tout cas.
Vous avez déclaré que vous ne jouerez plus jamais sur le Vans Warped Tour. Que s’est-il passé ?
Oui... Le problème c’est que le Warped Tour est un gigantesque et débile supermarché du punk. Ce n’est pas nécessairement bon ou mauvais, mais c’est une puissance qui parcourt tous les Etats-Unis. Ça permet quand même de se rendre dans des endroits inhabituels comme le milieu du Montana, ou même le Canada. Ces endroits sont tellement loin... On a un peu l’impression que c’est un immense train, qu’il suffit de monter dedans, de se laisser guider et voir ce qu’il se passe. Ça doit être très bizarre et décevant pour beaucoup de groupes. Encore une fois on n’a pas de plan de carrière, on veut juste jouer et rester honnêtes avec nous-mêmes, et je pense que le Warped Tour ne laisse pas de place à ce genre de philosophie.
Vous avez été qualifiés de "vendus" pendant le Warped Tour...
Oui. Nous pensons que c’est une institution corrompue qui n’a rien à voir avec les idées du punk. On ne pense pas que c’est la chose la plus maléfique au monde, il y a beaucoup d’autres ennemis et conflits à solutionner, mais certains groupes sont des deux côtés, à dire "Yeah ! Warped Tour !" mais aussi "vendus !" et du coup je pense qu’ils passent totalement à côté du truc. Mais je peux comprendre que certaines personnes aient ce sentiment. Une des principales raisons de pourquoi nous l’avons fait, c’est parce que les gars d’Anti-Flag et Rise Against le faisaient, ils nous ont dit de venir, que ça allait être cool. Mais il y avait aussi les putains de stands de l’armée, les marines avec des jeux vidéos et plein de gadgets technologiques pour faire croire que l’armée est cool. Du coup tous les jours où on était sur scène on disait aux kids de dire à leurs amis de ne pas y aller, de leur dire qu’ils n’étaient pas les bienvenus, on allait demander tous les jours aussi à l’organisation de virer l’armée de la tournée, on a organisé des manifestations, et finalement ils sont partis. On était super fiers, c’était un sentiment génial d’avoir réussi à les faire dégager. Mais sur le Warped Tour on jouait avec d’autres groupes, et certains disaient de la merde dans notre dos, on s’est presque battus avec certains... Je ne dirai pas quels groupes, mais c’est ce qui s’est passé, on était là pour jouer notre musique et voilà... c’est quand même dingue. Les personnes qui se complaisent à traiter les autres groupes de vendus devraient se trouver d’autres hobbies... Et je pense que c’est un problème qui touche les villes universitaires, les kids blancs, qui se branlent de la politique. Nos médias, nos chaînes de télé, ne veulent pas montrer aux millions de personnes de la classe ouvrière qu’il existe d’autres solutions. Maintenant les gens ont besoin de nouvelles armes pour s’engager contre le capitalisme américain au lieu de se complaire dans une espèce de prétention conservatrice.
Tu abordes pour la première fois un drame familial dans les paroles de "Sedition". (Sans le savoir, son grand-père travaillait sur la construction de la bombe tristement célèbre d’Hiroshima. Il a été, comme la grande majorité de ces ouvriers, contaminé, transmettant à son fils et à son petit-fils, Thomas donc, de graves problèmes de santé.) Pourquoi avoir choisi d’en parler maintenant ?
Je crois que c’est une chanson que j’ai voulu écrire toute ma vie. C’est quand j’ai entendu la musique surtout, ça m’a donné le courage de parler de ça. C’est un peu comme Instinct d’ailleurs. C’est une autre chanson très personnelle, que je n’aurais peut-être pas écrite si je n’avais pas entendu la musique.
C’est donc votre façon de composer, tu n’as jamais de paroles avant la musique ?
De temps en temps. En fait tout le monde joue de la guitare dans le groupe. Donc oui en général c’est quand la musique est prête que je cherche l’inspiration pour les paroles.
A ce sujet peux-tu nous expliquer le sens du titre "Exit English" ?
Ben tu sais c’est comme les oeuvres d’art, on aime que chacun l’interprète. Comment tu l’as compris toi ?
Heu... la première fois que je l’ai vu j’ai pensé que comme l’anglais était la langue "mondiale", ça exprimait une volonté d’aller au-delà du langage pour communiquer, parce que la langue est une des plus grandes frontières qui existe entre les gens...
Ah c’est pas mal... En fait on pensait surtout à se défaire du passé colonial brutal, et exprimer une volonté de destruction de la globalisation et du contrôle de l’Empire. Ça reprend l’idée d’un retour à la terre que l’on exprime dans la chanson "Exitinguish", et "Exit English" est un jeu de mot par rapport à ce titre. Voilà, ça englobe un peu tout ça. On n’est pas comme des scientifiques, on ne livre pas des faits en disant "voici la vérité". On défend nos idées en montrant du doigt ce qui ne va pas bien. C’est comme ça que l’on perçoit le punk.
En dehors du groupe vous avez tous un boulot, c’est par obligation économique ou un choix de vie, pour ne pas dépendre de votre musique ?
Je ne sais pas si on a encore nos boulots (rires) ! Comme on est en tournée on doit s’absenter, prendre des congés ou démissionner, les reprendre un mois après... On n’est pas allés à l’université, pour nous ces boulots nous permettaient de survivre. Je ne sais pas si on va les reprendre en rentrant, on va plutôt se reposer avant de repartir en tournée en janvier. Si on ne bossait pas on ferait d’autres choses, comme du volontariat, des travaux d’intérêt général, aider nos amis... En tout cas je ne pourrais pas me contenter d’un boulot où on se dirait le matin "quel boulot de merde". Depuis 10 ans je travaille dans une boutique de nourriture biologique, et c’est probablement ce que je ferai pour le restant de ma vie.
Retour à la musique : comment expliques-tu le succès de ta voix dans Inquisition et maintenant Strike Anywhere ?
Je ne sais pas. Je ne pense pas que ma voix soit la clé du succès, j’ai juste toujours été avec de bons musiciens, de bons amis. Je peux aussi jouer de la guitare, je peux écrire des chansons, je peux jouer et chanter en même temps... Je ne sais pas si j’ai une très bonne voix, mais merci.
Tu peux nous parler de la réedition de l’album d’Inquisition sur A-F Records ?
Et bien figure-toi que Chris#2 (ndlr : bassiste d’Anti-Flag) s’est fait tatouer le logo d’Inquisition. Et quand on les a rencontrés j’étais scié, je lui ai demandé : "On ne s’est jamais vus, comment connais-tu mon ancien groupe ?", et il a répondu que cet album avait changé sa vie. Je ne pouvais pas le croire... On a tourné deux fois en Europe avec eux et on en a parlé, et quand on est rentré ils n’arrêtaient pas de m’appeler genre "Hey mec, c’est Justin Sane, quand est-ce qu’on sort cet album ?". On a donc choisi des photos ensemble, on l’a remasterisé et voilà, c’est génial. C’est grâce à Anti-Flag que ça s’est fait et tous les membres d’Inquisition en sont très heureux.
Quelle est aujourd’hui l’importance de l’héritage d’Inquisition pour Strike Anywhere ?
Je ne sais pas vraiment, mais c’est clair qu’il y a pas mal de liens entre Strike Anywhere et Inquisition. Le nom de Strike Anywhere, tu dois le savoir, vient d’ailleurs d’une chanson d’Inquisition, et certaines chansons que j’avais composé à l’époque sont devenues des chansons de Strike Anwyhere.
L’année dernière mon collègue interviewait Rob Huddleston, et il nous avait parlé d’une possible reformation d’Inquisition, tu en penses quoi ?
Je ne sais pas si ça serait réalisable en fait... J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer ces gars-là, mais maintenant nous vivons tous dans des endroits éloignés, il y en a même un qui vit en Angleterre, alors ça serait très compliqué…
Tu connais quelques groupes français ?
Oui, les Uncommonmenfrommars, que l’on a vu hier à Lyon. Ils nous ont passé leur dernier album, qui est vraiment génial. On avait aussi joué avec un groupe Minds quelque chose... The Twisted Minds !
Et pour finir, l’année dernière Rob nous disait que si tu avais des dreads, c’est parce qu’à l’âge de 16 ans tu trouvais que tu ressemblais à une fille avec tes longs cheveux blonds. C’est vrai cette histoire ?
(rires)Mon Dieu mais pourquoi Rob est allé raconter ça ?! (ndlr : parce qu’on le lui a demandé pardi !) En fait j’ai commencé quand j’avais 17 ans, et je ne sais pas... Peut-être. Je jouais dans un groupe de punk, un de reggae... C’est venu à un moment de ma vie mais je ne sais pas ce que ça peut vouloir dire. Et de toute façon je ressemble toujours à une fille aujourd’hui. (rires)
Voilà on termine là-dessus en tout cas merci beaucoup à toi Thomas !
Merci à vous de faire ça.
“Thx to Nanette & Petra @ fatwreck.de”
Tweet>