Carving - I Wish I Was Underground to Stick It On My Face

Contexte :

C’est après 7 ans d’existence que les Carving parviennent enfin à sortir un vrai album. Après plusieurs démos remarquées dont notamment Coconuts en 2000, après de nombreux concerts, surtout dans le nord de la France, nos 5 skateurs vont, avec cet album, accéder au haut du panier, à une reconnaissance bien méritée, côtoyant par la suite de prestigieux groupes comme Undeclinable, Burning Heads, UCMFM, Snuff, dans des festivals comme le Headworx ou celui de Dour en Belgique.

Le succès de I Wish I Was… provoquera une grande remise en question au sein du groupe et s’en suivront les départs de Sylvain (batteur) et Vianney (guitare). Jusque là plutôt axé old school avec des groupes comme NRA, Les Partisans, Toxxic TV, Toxic Waste, Dead End, Condkoï… le label nantais Dialektik se diversifie et ouvre ses portes à un style plus mélodique mais pas moins intègre.

Chronique :

Alors forcément quand on entend parler de " nouvelle révélation hexagonale ", " nouvelle sensation punk rock française ", " successeurs des Burning Heads ", " les nouveaux Uncommonmenfrommars " etc… on se dit, un peu dépité : " ouais encore un album de suiveurs au goût de déjà goûté quoi ! "… Et bien non messieurs dames ! Avec les Carving c’est loin d’être le cas ! Alors certes, les références skate punk, les influences californiennes sont là, bien présentes, mais loin d’être reniées ou mal-assumées, elles assurent au groupe lillois une assise, une base, technique et mélodique, une recette qui a fait ses preuves et autour de laquelle on peut broder… Toutefois le côté " à la française " est incontestable et est véritablement pour beaucoup dans le succès et l’identité du groupe.

Les (très) gros atouts de Carving sont : la capacité à allier mélodies variées et prenantes à une énergie qui n’aura de cesse de vous faire remuer tout du long, une originalité dans la construction des tunes grâce aussi à une voix métissée et charismatique, influencée par le reggae/ragga, le ska, et des senteurs baignées de soleil et de good vibes. La voix de Mat puissante et un brin errailée fait beaucoup dans l’impression de style très personnel, la claque de sensations que l’on prend à l’écoute de ce disque.

Après 7 ans, la sélection des 16 titres du disque a dû être draconienne et n’est sûrement pas étrangère au sentiment de diversité et de fraîcheur qui en ressort. Le groupe le dit lui-même : il a voulu montré toute l’étendue de sa palette artistique. Tous les morceaux sont chantés dans la langue de ’Chakespéart’ et l’accent frenchy se fait certes un peu ressentir par endroits. Rien de grave, on retient surtout l’entrain amené par les multiples fantaisies ragga et autres excentricités vocales de Mat (" Dates ", " Liza ", " I’ve Got The World ", " My Board ", " Yallah "…). Vraiment unique !

Des passages bossa-nova (" Dates "), des changements ska super bien orchestrés (" I’ve Got The World ", " Serial Branleur "), des morceaux cuivrés où des potes du groupe sont invités, des trips métalleux (" I Wish I Was… ") ou encore acoustiques chargés d’émotion, sont du meilleur effet et toujours au service de l’intensité d’un tout qui finit irrémédiablement par redémarrer à 100 à l’heure.

La vitesse n’est donc pas pas gratuite mais elle n’est pas non plus systématique, les alternances, de rythmes (" Stop In Time "), de mélodies (" Time To Decide "), sont innombrables. Sur la démo Coconuts certains titres dépassaient les 4 voire 5 minutes, ici le groupe a un peu épuré pour une plus grande efficacité mais on retrouve toujours avec bonheur cette marque de fabrique, des tunes constituées d’une multitudes de plans (" My Board ", " Time To Decide ", " Yallah ! "…) rappelant les énormes " Jessy " ou " Hardskimboarding " de la démo.

Les deux guitares de Vianney et Olive assurent une parfaite complémentarité, le gros son plutôt métalleux (" Take Your Chance ") est présent chez l’une, tempéré par les petits solos et autres parties plus mélo de l’autre. Mike à la 4 cordes, assure dans tous les compartiments de ce style changeant au possible. Le mixage est équilibré et efficace, seul Sylvain à la batterie semble parfois moins constant, mais dans l’ensemble c’est le déluge d’énergie non-stop ! Seul le très beau reggae mélancolique de " No Flag For My Country " ménage une pause. Les mélodies savent d’ailleurs se faire très émotionnelles comme le prouvent les magnifiques " And The Cards Fall Down " et " Time To Decide " où on chialerait presque. On est donc relativement loin de l’image réductrice de skate punk de branleurs…

Les textes aussi sont loin d’être tous insouciants et on trouve notamment des invitations à l’expression citoyenne, des lyrics personnels, exprimant un malaise, une angoisse, motivant les kids à se bouger tout en gardant l’esprit festif et fun que doit procurer la musique… notamment celle des Carving. Mat a d’ailleurs déclaré à ce sujet : " les mecs sérieux tout le temps on n’a pas envie de les écouter parce qu’à force ils nous cassent les couilles, par contre si tu fais le débile et qu’à un moment tu te poses et fais un texte plus grave, là on y prête attention. " Le texte de l’excellente " Useless Or Not " illustre ainsi parfaitement l’esprit ’Funcore’ du groupe (dixit).

Impossible de ne pas réagir au " Wouh ! " qui démarre la surpuissante " Liza ", tube parmis tant d’autres qu’on chantonnera toute la journée, comme " My Board ", " No Tryout ", ou l’énormissime " Serial Branleur " ! Je mets quiconque au défi de pas bouger sur cette chanson, mélange d’énergie furieuse, de skate punk des familles, de mélodie changeante, le tout mettant parfaitement en exergue LE style Carving avec son passage ska avant une fin cataclysmique, quelle claque ! Avec le " Live at the Béberre Bistrot " de l’Accordéon Club du Touquet, cette galette qui se clôt sur la très fun " Yallah ! ", est définitivement, pour moi, le disque français le plus marquant de l’année 2001. Si vous ne connaissez pas encore, jetez-vous là-dessus !